Il y a un jardin bien entretenu, des cyprès, des parterres de roses, un bassin avec des poissons rouges dans lequel se reflète le ciel changeant et les crépuscules rouge sang.
Nava trente neuf ans, ayant perdu son mari et son fils dans un accident de voiture, s’est réfugiée dans une maison pour seniors, là où tout est fait pour se souvenir des moments heureux.
Nava, malgré sa jeunesse, veut s’isoler du monde comme le ferait un écrivain. Comme les personnes âgées qui l’entourent, elle aurait le temps de mieux réfléchir, de ressasser son malheur.
Ainsi le récit aurait pu être une longue litanie sur la perte, le deuil, le renoncement, or, c’est le point de départ d’un roman qui nous dit tout le contraire. L’œuvre de Mira Maguen qui compte en France seulement trois livres traduits de l’hébreu nous invite à pénétrer une société qui connaît la douleur, la guerre, le difficile passé de chacun mais dont le credo repose sur une attitude quelque peu cassante, directe et sans ménagement afin de répondre à l’injonction de vivre. Un personnage pourrait représenter cette manière d’être propre à Israël ;
Yonina la belle sœur sans cesse pose clairement et abruptement la question ; continuer ou en finir mais alors passer à l’acte. Pas de lamentations, si l’on choisit de survivre, il faut y aller et ne compter que sur soi et ne rien attendre du ciel. Cela étant dit, il faut faire la cuisine, soigner les plantes, acheter une robe, pas de temps pour la métaphysique qui ne mène à rien et de lui dire ; « descends de ton Olympe de tristesse,
Nava, tu n’es pas le nombril du monde, le fait que les malheurs t’aient accablés ne veut pas dire que les autres n’aient pas souffert ».(p.185) Murée dans son obstination et sa douleur Nava ne pourra échapper à la vie et c’est là l’objet du récit souvent amusant et inattendu de l’irruption des autres dans cette forteresse. Les autres, cette galerie de portraits tragiques et drôles à la fois, est à l’image du pays, le menuisier comme le bois qu’il travaille est sec et dur, il garde son secret et sa douleur, la caissière russe du super marché aux ongles peints, au maquillage outrancier rêve de s’en sortir, elle porte le fardeau d’une adaptation difficile, la femme âgée mais encore si belle avec ses vêtements colorés et son style hippie, elle aussi garde un secret terrible ; tous et ils sont nombreux avec leurs misères, tous continuent, tous sont vivants.
Je ne connaissais pas Mira Maguen, j’ai feuilleté son livre, je ne pouvais le fermer, je l’ai prêté, on ne me l’a pas rendu, il a eu le même effet addictif que l’on a connu avec Elena Ferrante.
Intriguée par cette œuvre, j’ai rencontré à Jérusalem son auteure pour comprendre l’origine de cette impulsion de vie si forte. Tout a commencé me dit-elle par une visite à sa mère handicapée mais toujours consciente et intelligente et qui lui avait confié son désir d’en finir. La vie était derrière elle, et le temps de partir n’en finissait pas. C’est cette expérience et de la nécessité de convaincre que la vie vaut tout de même la peine qui est à l’origine de ce roman.
Mira Maguen, élevée à Kfar Saba dans une famille religieuse et qui avait fait son « retour à la terre » au sens propre, se souvient de son père très religieux, le corps courbé sur son labeur mais aussi, de son élévation vers Dieu.
De cette éducation dans la tradition juive, Mira Maguen en a retenu les aphorismes bibliques qui émaillent le texte sans l’alourdir comme une percée vers une lumière, une énergie qui s’empare des individus sans qu’ils la commandent.
Aujourd’hui, comme elle me le confie, elle navigue entre deux pôles, religieux-laïc, un entre deux qui ressemble à ce crépuscule du vendredi rapporté par le Midrash et le commentaire de Rachi qui dit le temps de la création, celui de l’incertitude, un espace nécessaire à l’écriture. Mira Maguen s’en remet toujours aux détails, ces petits riens dont elle se souvient toujours comme la trace de la main d’un enfant sur un écran qu’elle ne veut effacer ou encore son regard attentif sur l’ajustement des pierres de Jérusalem.
Son œuvre n’a d’autre prétention que de décrire par le menu détail l’irruption de la vie. Elle devient plus précise, regardez me dit-elle les murets qui entourent les jardins, il y a un espace entre chaque pierre et c’est dans cet espace que naît la création, les brins d’herbe, la vie. Dans son roman, un de ses personnages haut en couleur et fantaisiste se tait soudain pour regarder un oiseau. « Elle le regardait, hypnotisée comme si jamais de son existence elle n’avait vu d’oiseaux. » (p.200) Comme des théophanies discrètes, les descriptions du monde qui entourent les personnages donnent à la lecture une tonalité particulière et c’est certainement là que s’élabore une singularité de style.
Vivre à Jérusalem n’est pas anodin, Mira Maguen habite dans le quartier de Talpiot, la maison juste à côté de celle de S. Agnon. Chaque matin, elle regarde les collines avoisinantes, elle se demande quels mots encore empreints de leur tonalité ancienne et biblique le grand écrivain aurait utilisés pour dire tout cela. C’est en quelque sorte son défi quotidien. « Aller de l’avant est une nécessité dans ce pays » me confie t elle. A Jérusalem elle entend les cloches des églises, l’appel du muezzin et les voix d’enfants dans les écoles talmudiques, Mira sourit, « les trois religions cognent au même ciel et doivent déranger Dieu ! ».
Mira Maguen La sœur du menuisier, éd. Mercure de France 2015, 420 pages