La première étape est de comprendre ce que signifie véritablement la vengeance. Selon la définition du Larousse, la vengeance se définit par « l’action de se dédommager d’un affront, d’un préjudice [1]https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/vengeance/81398 ». D’après cela, une personne qui subit un tort n’aurait pas le droit de se rendre au tribunal pour réclamer justice. Or, la Michna[2]Traité Baba-Kama, p. 83 est explicite « celui qui blesse son ami est obligé de le dédommager de cinq choses – le dommage, la peine, le rétablissement, la mise à pied et la honte ».
De plus, le texte enjoint à construire des villes de refuges en Israël afin de protéger ceux qui auraient commis des homicides involontaires, des fougues de leurs proches, amenés à se venger. Le Talmud[3]Traité Makkot, p. 12 rapporte que celui qui vengeait son proche n’était pas sanctionné tant que ces villes étaient en vigueur. Le plus étonnant est sans doute un texte talmudique[4]Traité Chabbat, p. 149 qui déclare que D.ieu contribua à venger une des victimes du roi Akhav en brouillant la prophétie de ses oracles.
Au vu de toutes ses sources, il semblerait que l’interdit de vengeance doit être redéfini.
Lorsque la vengeance n’est plus un crime
Comment la tradition orale présente-t-elle le cas de vengeance prohibé par la Torah ?
C’est un homme qui demande à son ami de lui prêter sa faucille, celui-ci refuse. Le lendemain, ce dernier lui demande un marteau et refuse à son tour, prétextant « de la même manière que tu as refusé de me prêter ta faucille[5]Traité Yoma, p. 23 ». Voici le cas choisi par le Talmud pour illustrer la vengeance. Pourquoi ne pas parler du cas d’une personne qui frapperait en retour son agresseur ou l’insulterait ?
Le Talmud répond qu’il existe une différence fondamentale entre un dommage d’ordre matériel – le refus d’un service offert – et un dommage d’ordre physique, qui ne serait pas concerné par l’interdit de vengeance.
Le Hafets Haïm[6]Introduction, commandement négatif, alinéa 8 explique qu’il s’agit d’une discussion parmi les décisionnaires de savoir si l’interdit de se venger concerne les dommages physiques. Il ramène un consensus lorsqu’une personne est invectivée ou agressée, elle est en droit de répondre à son assaillant[7]Hinouh, commandement 338 , après ceux qui autorisent les représailles – quel est le sens de cette permission ? Serait-ce pour apaiser psychologiquement la souffrance de la victime ou pour rétablir un ordre naturel perturbé ?
Les deux avis sont vrais.
Le Avi Ezri dans son commentaire sur le Minhat Hinoukh[8]Commandement 410, alinéa 6 écrit, « C’est un phénomène humain que celui qui subit un dommage est apaisé lorsque le criminel est victime à son tour » à ce titre-là, les tribunaux rendent justice aux personnes laissées, apaisant ainsi leurs âmes meurtries.
Le Rav Haïm de Brisk[9]Commentaire sur le Rambam, chap. 5, lois sur réclamations, alinéa 2 , quant à lui, explique que la vengeance rétablit l’ordre que le fauteur a perturbé en dépouillant le bien ou l’honneur d’autrui.
Cette idée fait écho avec une Michna de la maxime des Pères[10]Avot 2 :9 qui enseigne que D.ieu rembourse les prêteurs de leur argent lésé, comme pour rétablir un certain équilibre.
La loi du talion
Au vu de ces enseignements, certains ont interprété à tort un verset bien connu de la Bible « Œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied[11]Nombres, 15 :38 » comme étant exhaustif. Mais le Talmud ne fait pas d’amalgames.
Il questionne[12]Baba Kama, p. 84 : « T’imagines-tu qu’il puisse s’agir vraiment d’un œil pour un œil ? Rav Achi répond que cela n’est pas envisageable, car une tradition exégétique remontant à l’époque de Moïse compare ce verset avec un autre et de même qu’il s’agit là-bas d’un dédommagement en argent, de même, en est-il ici aussi ».
Les commentateurs s’attachèrent à démontrer l’incohérence d’une telle loi au sein du corpus biblique ainsi qu’à la lueur du bon sens. Rabbi Judas Halévi dans son Kuzari[13]Livre 3, alinéa 47 écrivait par exemple : pas sûr que ça veuille dire quelque chose…) « Celui qui aura tué une bête la remboursera, vie pour vie[14]Lévitique 24 :18 ». Bien qu’il soit écrit « vie pour vie », il n’est nullement question de tuer l’animal d’autrui, car cela n’en sera d’aucun profit pour la victime, mais bien de s’en dédommager en lui privant. Il en est ainsi concertant celui qui a tranché la main de son prochain, il devra prendre en échange le prix de sa main, car la couper ne lui est d’aucun profit.
Par-dessus le marché, la loi du talion implique des conséquences auxquelles la raison s’oppose. Comment aurions-nous une mesure juste pour déterminer l’équivalence d’un dommage ? Il se pourrait qu’une telle blessure tue celui-ci et ne tue pas celui-là. Comment arracherions-nous l’œil d’un borgne pour rendre justice à quelqu’un qui avait ses deux yeux, alors que le premier deviendrait aveugle, tandis que le second serait borgne. Or, la Torah stipule : « On inflige à l’homme la lésion même qu’il a infligé[15]Ibid. 24 :20 ».
En légiférant la vengeance, la Torah témoigne une nouvelle fois de sa compréhension des mécanismes humains.
Références
↑1 | https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/vengeance/81398 |
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↑2 | Traité Baba-Kama, p. 83 |
↑3 | Traité Makkot, p. 12 |
↑4 | Traité Chabbat, p. 149 |
↑5 | Traité Yoma, p. 23 |
↑6 | Introduction, commandement négatif, alinéa 8 |
↑7 | Hinouh, commandement 338 |
↑8 | Commandement 410, alinéa 6 |
↑9 | Commentaire sur le Rambam, chap. 5, lois sur réclamations, alinéa 2 |
↑10 | Avot 2 :9 |
↑11 | Nombres, 15 :38 |
↑12 | Baba Kama, p. 84 |
↑13 | Livre 3, alinéa 47 |
↑14 | Lévitique 24 :18 |
↑15 | Ibid. 24 :20 |