« La vie est belle » ou encore « Tout va très bien Madame la Marquise » n’a cessé de se répéter comme une antienne Max Goldmann pour s’extraire des contingences avilissantes de l’univers concentrationnaire. Rien ne prédisposait à la survie cet avocat-conseil parisien, âgé de 51 ans, déporté à Buchenwald non comme juif mais sous l’accusation fallacieuse d’avoir été le secrétaire du dernier Président du Conseil Paul Reynaud, démissionnaire après la débâcle de juin 40. Affecté aux travaux les plus ingrats du camp à son arrivée, le 29 janvier 1944, Max avoue dans son récit avoir eu des moments de défaillance, de désespérance, des velléités de renoncement. Au cours des premières semaines de sa détention, les plus terribles, il fait une rencontre, aussi brève que décisive, avec un officier d’active qui lui proposa son aide et prononça d’inestimables mots de soutien. « Ses paroles, d’une humanité si profonde, me servirent de réconfort tout au long de ma vie de bagnard. Chaque fois que je flanchais, il me suffisait de penser à mon ami ». Rester un homme, coûte que coûte, en cela Max fait montre d’une exceptionnelle capacité de résilience face aux épreuves. Ainsi, il organise des «Diversions parties », comme il appelle « ces soirées d’évasion pour sortir de l’abrutissement de l’existence. » Durant les interminables appels, il s’extrait mentalement par la prière, ou par un jeu de calcul à partir des numéros aboyés par les gardes et alors, le froid devient moins froid. Et, chose incroyable, en guise de récréation, il lit dans les cartes l’avenir de ses co-détenus !
C’est à l’écriture qu’il doit aussi son salut : « Je m’enveloppais d’une carapace et créais par l’imagination un monde où je pris l’habitude de m’isoler. J’écrivais. Le papier devenait mon meilleur confident (…). Ce qui au début pouvait me paraître épouvantable devenait moins terrible (…) et tout ce qu’on pouvait me faire glissait, glissait …
L’idée d’écrire son témoignage est certainement née à Buchenwald, où il a pu grapiller quelques heures pour écrire des poèmes, du théâtre, des essais, un roman, au lieu de dormir, comme il le rapporte dans « Pupille de la Gestapo ». Sans doute a-t-il entamé la rédaction de ce témoignage dans les années suivant immédiatement sa libération, le 8 mai 1945. Il y livre son histoire, sans artifice, sans chercher à la rattacher à la grande histoire. Sincérité et dignité imprègnent ces pages bouleversantes, enfin portées à la connaissance de tous.
Malgré sa courageuse posture, Max Goldmann est épuisé. Il donne le change pour ménager les siens, miraculeusement retrouvés, mais le cœur au sens propre comme au figuré, n’y est plus. Seule consolation, ses qualités d’auteur vont être reconnues quand l’Académie Française lui décerne en 1954 le Prix de la Fondation Jouffroy-Renault pour son recueil de poèmes « Sous les sept signes». Il décède en avril 1957 ; un an plus tard il sera reconnu « Mort pour la France » pour son attitude héroïque durant sa déportation.