Lire ou relire LA LONGUE CHASSE de Moshe Pearlman revient à s’immerger dans l’Histoire, celle de la capture d’Adolf Eichmann, événement unique pour le peuple juif, en Israël comme en diaspora. 63 ans se sont écoulés depuis l’enlèvement du haut dirigeant nazi, promoteur de la « Solution finale du problème juif», le 11 mai 1960, dans un quartier isolé de Buenos Aires en Argentine. L’annonce par David Ben Gourion, le 23 mai, devant les députés de la Knesset médusés, qu’Adolf Eichman était emprisonné en Israël, a fait le tour du monde. Moshe Pearlman s’est lancé sur le champ dans le récit de la longue traque contre le criminel de guerre nazi et le livre est paru quelques mois avant l’ouverture du plus important procès de l’histoire de l’Etat d’Israël.
Alors jeune journaliste pour la presse anglaise, il avait couvert le procès de Nuremberg (20 novembre 1945 – 1er octobre 1946) contre 24 hauts responsables nazis. C’est à l’occasion de leurs dépositions que le nom et le rôle d’Adolf Eichman furent révélés pour la première fois au public. Pearlman avait interviewé à l’époque un collaborateur direct d’Adolf Eichman, le Sturmführer SS Dieter Wisliceny, à la prison centrale de Bratislava, peu avant son exécution. Ce dernier lui avait livré des informations sur le Service des Affaires Juives que dirigeait Eichman et une note écrite où il affirmait sa conviction qu’il était toujours en vie.
15 ans plus tard l’auteur documente avec une grande rigueur journalistique la carrière d’Eichman au sein du Parti nazi, dès 1934, et la personnalité complexe de l’homme qui tout en préservant son anonymat s’est dédié sans faillir à l’accomplissement de sa mission : la destruction des Juifs des 16 pays d’Europe sous le joug des Nazis. Puisant aux meilleures sources, révélant le contenu de documents de première main, il démontre pas à pas la responsabilité pleine et entière du chef de la section IV-B4, le bureau de la Gestapo pour les Affaires Juives, le plus puissant service de la Gestapo au sein du R.S.H.A. (Bureau Central du Service de Sûreté du Reich). Les préparatifs du procès sont en cours mais le livre dresse déjà un réquisitoire objectif et sans appel contre le planificateur de la « Solution finale ».
Pearlman consacre naturellement une part importante de l’ouvrage à la traque d’Eichman qu’il relate minutieusement dans un style digne d’un roman d’espionnage et conserve encore tout son intérêt, malgré les nombreux ajouts au fil du temp. En particulier lorsqu’il décrit les diverses filières de l’organisation clandestine nazie après-guerre- comme le fameux réseau ODESSA, sans lesquelles Eichman n’aurait pas pu vivre dans la clandestinité pendant 5 ans en Allemagne, ni gagner l’Argentine en juin 1950, via l’Italie, où il devint Ricardo Klement, citoyen argentin.
Pearlman s’étend longuement sur la vive bataille diplomatique qui a opposé l’Etat d’Israël et l’Argentine suite à l’enlèvement d’Eichman sur son territoire, impliquant même le Conseil de Sécurité de l’ONU. Une page oubliée de l’histoire à redécouvrir. « La longue chasse » s’attarde enfin sur les débats qui suivirent la capture d’Eichman quant à la légalité d’un procès en Israël. Ce dernier chapitre, passionnant, s’achève par ces mots : « Si Israël n’existait pas, Eichman serait encore en liberté.»
Ce livre, contemporain des événements, reste un témoignage d’une valeur historique inestimable.