Durant toute l’année, amener les petits enfants à la synagogue est un choix pédagogique complexe. La synagogue doit faire partie de la vie sociale et affective de chaque enfant juif, c’est pourquoi les y amener régulièrement est essentiel. Pourtant, un enfant trop jeune peut, par ses pleurs ou cris, déranger la prière de l’assemblée. Il en fait un terrain de jeux, ou de retrouvailles avec ses copains. Sa perception du lieu sera tout sauf celle due à cet endroit.
Toutefois, pour le jour de Pourim, le Choulkhan Aroukh[1]Choulkhan Aroukh 689, 6, le livre des lois, recommande d’amener les enfants à la synagogue pour écouter la Méguila. La venue des enfants participe à la diffusion du miracle et, selon le Gaon de Vilna, nous permet d’accomplir le verset qui annonce que « le souvenir ne quittera pas notre descendance»[2]Esther 9,28.
Une coutume extrêmement appréciée par les enfants est de faire du bruit lorsque l’on énonce le nom d’Haman lors de la lecture de la Méguila. On frappe, on crie, on siffle le nom de l’ennemi honni. La source de cet usage est ramenée par Rabbi Moché Isserlés[3]Choulkhan Aroukh 690, 18, décisionnaire de référence des communautés ashkénazes, au nom de Rabbi David Aboudraham, autorité médiévale séfarade du 14ᵉ siècle. Les enfants inscrivaient le nom ou le visage d’Haman sur des morceaux de bois qu’ils frappaient l’un contre l’autre jusqu’à ce que l’inscription s’efface, accomplissant par là la mitsva d’effacer le souvenir d’Amalek. Contrairement à l’adage voulant que les paroles s’envolent, mais que les écrits restent, ici le nom écrit a disparu. Mais le bruit est resté…
Cette coutume a donc été lancée par les enfants alors que la mitsva d’effacer le souvenir d’Amalek nous concerne tous, et plus particulièrement les adultes.
Il semblerait qu’au centre de ce tourbillon nommé Pourim se trouvent nos enfants.
Mais pourquoi donc ?
Expliquons cela plus en profondeur que la couche superficielle de maquillage qui couvre leurs doux visages…
Alors que le peuple juif est au bord du gouffre, que les décrets de Haman sont déjà ordonnés et que les ennemis d’Israël fourbissent leurs armes, Esther alerte Mordekhai. Elle lui demande de rassembler tous les Juifs[4]Esther 4, 16 pour un jeûne et une prière de trois jours avant qu’elle ne se présente devant le roi Assuérus. N’ayant pas été invitée, elle se met ici en danger de mort pour sauver son peuple.
Mordekhai rassemble principalement 22.000 enfants avec lesquels il jeûne, prie et supplie le Tout Puissant de prendre son peuple en pitié. Alerté, Haman se précipite sur les lieux et demande les raisons de ce rassemblement de tant d’enfants. Mordekhai lui explique qu’ils prient tous pour la délivrance d’Israël des mains de ses ennemis. Fou de rage, Haman fait enchaîner les enfants en promettant de revenir le lendemain pour les assassiner un par un. Cette même nuit, il fait ériger la fameuse potence de 25 mètres au sommet de laquelle il rêve de voir se balancer Mordekhai.
Mais rien ne fait plus de bruit au monde que la larme d’un enfant juif qui coule. Au ciel, on s’interroge : Quels sont ces bêlements qui s’élèvent ? Moïse, l’avocat éternel du peuple juif, se précipite : Mon D.ieu…. ce ne sont pas des agneaux, mais tes enfants qui pleurent et implorent !
Alors : « Cette nuit, le sommeil du Roi fut troublé[5]Esther 6, 1 », D.ieu… décide de venir au secours de son peuple. Il se lève de son trône de justice pour siéger sur son trône de miséricorde.
Et si D.ieu… ne dort pas, alors personne ne dort !
Assuérus ne ferme pas l’œil de la nuit, demande qu’on lui lise les chroniques, se rappelle comment Mordekhai lui a sauvé la vie. Haman non plus ne dort pas, puisqu’il construit sa propre potence, et arrivé à l’aube au palais royal, il recevra l’ordre de couvrir d’honneurs son pire ennemi…
Mais pourquoi Mordekhai a-t-il choisi spécialement de rassembler des enfants ?
Rappelez-vous ce qui se trouve à l’endroit le plus saint du monde : sur l’arche d’Alliance, recelant les tables de la loi ! Deux chérubins d’or pur. La racine du mot Kérouv, chérubin, est le mot Kéravia, ‘’comme un enfant’’.
La parole divine jaillissait de l’espace se trouvant entre ces deux enfants aux visages tournés vers les tables de la loi. Ces enfants « protégeaient le propitiatoire de leurs ailes[6]Chémot 25, 20 ». L’image est frappante : les petits enfants dont le regard est tourné vers la Torah, ceux qui étudient notre héritage, ont la capacité de nous abriter de leurs ailes, et de nous protéger de tout mal…
Nous trouvons à cela une merveilleuse allusion dans le texte des Proverbes du roi Salomon : « un doux parler brise la plus dure résistance[7]Proverbes 25,15 ». Ceci s’écrit en hébreu : “ולשון רכה תשבר גרם”. Rabbi Avraham Sabbah, kabbaliste italien du 15ᵉ5e siècle, écrit dans son Tsror Hamor que תשבר גרם sont les initiales de תינוקות של בית רבן ,גזרות רעות מבטלות.
Les enfants qui étudient ont la force d’annuler les mauvais décrets.
Avec cette notion essentielle, nous pouvons comprendre une des répliques les plus surprenantes de la Méguilat Esther. Lorsque Haman rentre à la maison, ébranlé suite à la promenade de Mordekhai sur le cheval, Zerech aura cette remarque presque prophétique[8]Esther 6, 12 : « S’il est de la descendance des Juifs, ce Mardochée devant qui tu as commencé à tomber, tu ne pourras l’emporter sur lui ; au contraire, tu t’écrouleras entièrement ».
Nous ne pouvons que nous étonner devant une telle réponse. Haman parle depuis des années de Mordekhai le juif, son pire cauchemar. Que voulait-elle dire par l’interrogation : « Si Mordekhai est juif » ?
Le soutien moral et la compassion que lui témoignent ses meilleurs conseillers sont discutables : « tu t’écrouleras entièrement ! », lui prédit-il. Avec de tels amis, on n’a plus besoin d’ennemis !
Rabbi Chmouel di Ouzida, élève du Ari Zal, nous explique ainsi le texte : « Si Mordékhai a pris avec lui la descendance des Juifs, s’il a associé les petits enfants à ses prières, alors tu n’as aucune chance, car leurs prières annulent tous les décrets ! ».
Nous pouvons en conclure que Pourim est réellement la fête des enfants, car tout le miracle a eu lieu grâce à eux ! Il est donc tout à fait naturel de les associer à la lecture de la Méguila qui raconte le miracle qu’ils ont rendu possible. Il n’y a pas plus adapté que les enfants pour effacer le nom d’Haman puisque ce sont justement nos enfants qui ont vaincu ce terrible ennemi !
Je conclurai avec une dernière surprise. Le Talmud[9]Talmud de Babylone, Sanhedrin 96b nous enseigne qu’un des descendants de Haman s’est converti et enseignait la Torah à Bnei Brak.
De qui s’agit-il ? De l’un des plus brillants pédagogues de l’époque talmudique, du nom de Rabbi Chmouel bar Chilat. Haman qui avait voulu porter atteinte aux enfants juifs, s’est vu vaincu par ces mêmes enfants qui étudient la Torah. La réparation finale se fait lorsque la boucle est bouclée et que c’est son propre enfant qui enseigne la Torah aux enfants d’Israël…
Le plus beau de tout cela, c’est que l’auteur de la célèbre phrase[10]Talmud de Babylone 29 : « Lorsque rentre le mois d’Adar, on multiplie la joie » n’est autre que Rav Yéhouda, fils de Rabbi Chmouel bar Chilat, descendant d’Haman ! Lorsque nous comprenons que les enfants, en étudiant la Torah, sont la clé de toutes nos délivrances, alors nous avons vraiment de quoi nous réjouir…
Le plus beau trésor du peuple juif, ce sont justement les enfants qui étudient la Torah. Non contents d’être le prochain maillon de la chaîne, l’avenir de notre Peuple, ils garantissent eux-mêmes la protection de cet avenir…
Après toute cette réflexion, vous ne regarderez plus jamais un enfant déguisé le jour de Pourim de la même manière, vous saurez quelle merveille se cache derrière le masque !