L’humain est basé sur deux axes qui se nourrissent l’un l’autre: le rationnel et le sentimental. Faire l’économie de l’un, c’est étouffer l’autre. Ils marchent main dans la main et, seuls, ils deviennent comme des enfants abandonnés : apeuré pour l’intellect ou immature pour le sentiment.
Si vous réfléchissez trop longtemps à un sujet, vous pouvez vous sentir parfois comme dans un labyrinthe intellectuel.
Comme si votre réflexion, au lieu d’amener de la lumière à la problématique, obscurcissait lentement l’objet de votre pensée. Paradoxalement, dans ces cas-là, c’est justement la prise de recul sur la réflexion qui aide à la pensée.
La routine du quotidien et la poursuite de l’efficacité sont la norme depuis le début de l’automne.
Trois mois. Au milieu de l’hiver, froid et triste, les esprits semblent se fatiguer à la même vitesse que les arbres perdent leurs feuilles. Les têtes s’épuisent à mesure que les journées se raccourcissent.
Trois mois. C’est le temps qu’il a fallu au soleil pour passer de l’équinoxe au solstice, d’un travail à temps plein à un chômage partiel.
Le 25 Eloul est le jour de la création du monde[1]Rosh Hashana vient en réalité 6 jours après pour une réminiscence de la création de l’humain, et pas du monde comme dans l’inconscient collectif..
D.ieu dit : « Que la lumière soit », et la lumière fut. Dès lors, la création physique va chaque jour un peu plus priver la lumière de son droit d’exister.
Et c’est ce qui se passe chaque année en hiver pour nous aussi : la lumière de notre esprit perd en intensité en même temps que la lumière du monde perd en vivacité. Comme l’affirme le Zohar, l’Homme est le monde en miniature, ou, devrait-on dire, le monde est un humain en plus grand.
Dans tous les cas, les deux sont dans une harmonie déconcertante à cette période de l’année .
On essaye alors de s’évader comme on le peut, de s’aérer l’esprit, de trouver des loisirs, mais plus on s’engouffre dans l’hiver, moins l’effet de ces artifices ne dure dans le temps.
Après trois mois, ces ressources créent toujours des éclaircies, rafraîchissent encore les pensées, mais aussitôt envolées, la lourdeur du quotidien reprend ses droits.
Après trois mois, rien ne semble avoir la force de chasser définitivement la langueur, la grisaille et la mélancolie.
Le retour à la routine est comme un coup de vent qui éteint ses bougies.
Le secret pour que ces bougies persistent se trouve dans la fête de Hanouka.
Trois mois après le 25 Eloul et la création de la lumière, c’est le 25 Kislev, le jour de Hanouka, jour du solstice d’hiver selon le calendrier lunaire.
Quand le soleil ne trouve plus la force d’éclairer et de persister, quand les lumières du quotidien ne permettent plus de se ressourcer durablement, Hanouka doit arriver, c’est nécessaire[2]Voir Ner Mitsva (2e partie) du Maharal de Pragues..
Dans cette fête se trouve le secret d’une fiole qui continue à se consommer contre toute attente, car à y regarder de plus près, si le miracle de la fiole est impressionnant, il semble malgré tout anecdotique historiquement.
Le jour de la libération de l’oppression de la Grèce Antique, les Juifs ne trouvaient pas d’huile d’olive adaptée à l’allumage de la Menorah.
Finalement, une petite fiole cachée et scellée par le Cohen Gadol — le grand patron du Beth HaMikdash — fut découverte.
Elle ne semblait pouvoir durer qu’une journée et elle persista huit jours durant.
Je ne sais pas vous, mais pour moi, cette histoire ne tient pas debout.
Depuis notre tendre enfance, on nous raconte cette histoire de fiole d’huile, mais en grandissant, les anomalies sont criantes.
Et s’il n’avait pas trouvé de fiole d’huile, il n’y aurait pas eu de fête ?
Et s’il doit y avoir un miracle, pourquoi trouver une fiole cachée ?
Pourquoi n’est-elle pas descendue du ciel ?
Et si D.ieu ne voulait pas faire un tel miracle et changer le cours de la nature, pourquoi ne pas avoir disposé d’une fiole qui dure huit jours en quantité depuis le départ[3]D’ailleurs, si toutes les huiles du temple étaient impures, pourquoi ne sont-ils pas allés chercher dans les maisons juives qui possédaient sans aucun doute de l’huile d’olive dans les … Continue reading?
En fait, le message de Hanouka est inspirant.
Quand tout est triste autour de nous et que la lumière est éteinte, qu’on a l’impression qu’aucune bougie extérieure ou loisirs d’évasion ne ravivera la flamme sauf pour un instant, il existe une source de lumière cachée et scellée, c’est-à-dire à l’intérieur de nous.
Se ressourcer par l’intime, se retrouver avec soi-même, se rapprocher de son moi intérieur rallume la lumière de l’esprit.
Au premier abord, cette ressource intérieure, elle, n’est pas plus consistante que les autres prises de recul sur le quotidien. Il suffit d’avoir le courage de l’activer pour qu’elle éclaire vraiment.
Tant qu’on ne l’a pas allumée, elle dure effectivement une journée, mais une fois la flamme prise dans cette huile si particulière, notre regard sur le monde change et on se demande même comment a-t-on pu douter de son efficacité.
Mais soyons clair, on ne s’est jamais trompé, avant de l’allumer, cette lumière n’a rien de plus que les autres, elle n’a pas la capacité d’illuminer huit jours.
Ce n’est qu’une fois découverte enfouie en nous et allumée soigneusement que tout change.
Ainsi, le miracle devait prendre particulièrement la forme d’une fiole cachée.
Et pour que son message subtil soit entier, la capacité de la fiole se devait d’être limitée à une journée tout en illuminant finalement huit jours durant.
Alors, à ce moment-là de l’année, Hanouka est un manuel d’explication sur la manière de ramener la lumière dans les esprits, ramener la flamme dans les maisons, rendre au soleil son droit de briller.
Hanouka, c’est forcer l’été à arriver chez nous et dans le monde, aider activement le jour à s’installer durablement.
C’est aller chercher les ressources en nous et non à l’extérieur, prendre du recul par rapport à nos sentiments et pas simplement s’évader, s’occuper de ce qui est caché à l’intérieur même si la même chose est disponible à l’extérieur, se recentrer sur nous même, sur notre famille, sur nos sentiments.
Cela a l’air si simple qu’on ne pense pas que cela fonctionnera. Et pourtant, cela dure huit jours.
Une éternité.
Références
↑1 | Rosh Hashana vient en réalité 6 jours après pour une réminiscence de la création de l’humain, et pas du monde comme dans l’inconscient collectif. |
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↑2 | Voir Ner Mitsva (2e partie) du Maharal de Pragues. |
↑3 | D’ailleurs, si toutes les huiles du temple étaient impures, pourquoi ne sont-ils pas allés chercher dans les maisons juives qui possédaient sans aucun doute de l’huile d’olive dans les placards de leur cuisine ? (Sfat Emet Likoutime Hanouka). En fait, même sans la fiole miraculeuse et enfouie dans le sol, la Menorah aurait scintiller tout aussi bien, car on aurait emprunté de l’huile aux familles d’Israël qui se serait fait un plaisir d’aider dans pareilles circonstances. Et pour tout vous dire, même si, par malheur, il n’y avait que de l’huile impure à l’allumage, eh bien, la Menorah aurait tout de même éclairé, car techniquement l’huile n’a besoin d’aucune pureté (Kerem Shlomo année 13, 2 page 44), en tout cas pas pour la Menorah et pas quand c’est la seule disponible (Pné Yeoshoua sur Shabbat 22). |