Après deux siècles d’embourgeoisement, les logements en occident reviennent au concept de la salle de séjour qui décloisonne les différentes activités sociales.
Une grande pièce à vivre, immédiatement accessible par l’entrée de l’habitation, réunit de nouveau la pièce de vie principale de la famille, le salon de réception des invités et la salle à manger où le foyer se retrouve pour les repas et accueille ses visiteurs. Parfois, même la cuisine est ouverte sur cet espace de la sociabilité privée.
Les familles juives d’aujourd’hui se satisfont parfaitement de cette configuration classique où sont nettement distinguées la partie « jour » ouverte aux regards, de la partie « nuit » qui dissimule aux étrangers les chambres privatives et les salles d’eau dédiées à l’hygiène intime.
En effet, que ce soit au shtetl d’Europe de l’Est, à la ‘hara tunisienne, au mellah marocain ou dans tout autre quartier du monde juif traditionnel avant les grands brassages de population du XXème siècle, les Juifs avaient rarement les moyens de vivre dans de vastes logements avec de nombreuses pièces ayant chacune une fonction spécifique.
On cuisinait, mangeait, recevait et étudiait là où l’on dormait, en déplaçant les quelques éléments de mobilier.
On vivait beaucoup dehors, sous les climats qui le permettaient et dans les établissements communautaires qui étaient chauffés.
De nos jours, tant en Israël qu’en Europe ou aux États-Unis, les Juifs font généralement le choix de la salle de séjour tout-en-un. L’hébreu moderne le rend bien : חדר מגורים heder megourim du verbe lagour, une pièce pour séjourner qui coexiste au terme importé סלון salon.
Les Juifs ont en commun avec les Nations du monde d’avoir un salon-salle à manger qui se veut le plus accueillant possible, autant pour la maisonnée que pour leurs invités.
On y trouve bien sûr tout un système d’assises, des plus austères aux plus moelleux, comme en grec ancien טרקלין traklin[1]Traklin : du latin triclinium, salle à manger romaine où il y avait trois lits sur chacun desquels pouvaient s’installer deux ou trois convives, un autre mot plus littéraire pour désigner le salon en hébreu.
Les sièges sont organisés en coin-conversation, un face-à-face qui prédispose aux échanges, orientés vers le centre de la pièce. D’ailleurs ne dit-on pas en hébreu pour « réception » קבלת פנים kabalat panim, la réception des faces, c’est-à-dire des visages, reflets de l’intériorité פנימיות pnimiout ?
Dans cette disposition traditionnelle des fauteuils, méridiennes et canapés, le Feng Shui[2]Dont il est dit qu’il trouve ses origines dans la Cabale recommande de créer un sentiment de stabilité en alignant ces meubles le long des murs et en privilégiant l’angle droit.
Dans le même esprit, on veillera à « arrondir les angles » en atténuant les coins saillants des meubles en y plaçant des plantes aux feuilles retombantes[3]Les plantes aux feuilles pointues sont à éviter près des endroits où l’on s’assoit au calme qui apaisent l’atmosphère.
La qualité et la forme des sièges inspirent différemment l’état d’esprit.
Plus le siège est bas et épouse les formes du corps, légèrement incliné vers l’arrière, plus l’ambiance porte à la détente et aux échanges sereins et familiers.
À l’inverse, des sièges hauts au dossier droit inspirent davantage des échanges mondains.
Les tissus de revêtement chauds et souples, les rembourrages et capitons invitent à la détente, alors que le cuir, le chintz et le coton – des matières froides au toucher – n’invitent pas à rester longtemps assis.
Ainsi les coussins, rideaux et tapis n’ont pas qu’une fonction décorative : ils influent fortement sur l’impression que produit sur nous une pièce.
Tout contribue à l’ambiance et en particulier ce qui recouvre les grandes surfaces comme les sols et les murs pleins : carrelage, moquette ou parquet, peinture, papier peint et tapisserie.
Le choix de l’éclairage, des couleurs et des matériaux est très important pour générer une ambiance particulière.
L’éclairage joue beaucoup sur l’atmosphère.
Fort, blanc et placé haut, il dynamise l’espace et invite aux échanges joyeux et bruyants ; tamisé, avec une température de couleur tirant sur le jaune et placé à hauteur des yeux, c’est une invite à la confidence, à la conversation intime et à la lecture.
En Israël, sur ce plan, il y a vraiment deux écoles.
Chez certains, on croirait entrer dans un palais, au Beit ha Mikdash[4]Le Temple de Jérusalem lui-même, tant leur salle de séjour est lumineuse, puissamment éclairée, brillante de matériaux lisses et froids, d’un blanc éclatant où le minéral (verre, pierre, métal) dominent et impriment une sensation de vitesse et de bruit.
D’autres foyers ont à l’inverse un living-room très chaleureux et intime, chargé de bibelots et de tableaux, avec des couleurs chaudes et des matériaux comme le bois, le velours et le cuir qui rappellent leurs lointaines origines européennes et invitent à ralentir le rythme et à baisser la voix.
La première ou la deuxième option influera bien sûr sur les habitants de la maison, notamment l’emploi de cette énergie chez les enfants.
La langue hébraïque l’exprime à demi-mot : tsévâ [צבע] la couleur est une réponse à la tristesse, êtsèv [עצב] puisque tsévâ [צבע] influe sur le système nerveux, âtsav [עצב][5]D’après « Kabbale et couleurs. Les mystères des nuances de la Lumière », Georges Lahy, p. 6
Le rouge invite à l’action – Gvoura couleur du feu, de la guerre, de la planète Mars et de la fièvre.
Le vert, couleur de Tiferet, la sefira de l’harmonie, de la thérapie, de l’équilibre comme la nature environnante, appelle au repos et à l’introspection. Le bleu, lui, couleur du Hessed, de l’eau et du ciel, apaise, pousse à la rêverie et à la méditation.
Quant aux miroirs, utiles pour dynamiser un espace sombre et étroit, ils « accélèrent » l’énergie dans une pièce.
Stimulants, on en réduira le nombre et on choisira consciencieusement leur emplacement : pas en face d’une porte ou d’une fenêtre et jamais deux miroirs vis-à-vis.
D’ailleurs, le miroir ne s’invite pas en force dans les foyers juifs orthodoxes qui se méfient des manifestations narcissiques. Bien sûr, on ne doit pas prier devant un miroir qu’un minhag[6]Minhag : coutume acceptée dans une communauté juive. Certains ont force de loi, comme celle-ci impose d’ailleurs d’être recouvert en période de deuil.
Ainsi, il est souvent relégué aux pièces d’eau ou là où l’on s’habille, et dans l’entrée pour vérifier sa mise avant de sortir de chez soi.
Il est important de noter que dans une maison juive, la salle de séjour accueille toujours en bonne place une bibliothèque ou tout au moins quelques rayonnages.
La présence et l’importance de livres de Kodesh[7]Kodesh : saint est un signe infaillible pour déterminer le degré d’investissement dans le judaïsme de la famille et son goût pour l’étude de la Torah !
Côté salle à manger, la table est souvent imposante, devant accueillir de très nombreux convives pour les repas de fêtes et les cours de Torah. Face à elle, on trouvera toujours cette sorte d’autel familial sur lequel sont disposées les lumières de Shabbat.
C’est ce que nous verrons bientôt בסייד.
Références
↑1 | Traklin : du latin triclinium, salle à manger romaine où il y avait trois lits sur chacun desquels pouvaient s’installer deux ou trois convives |
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↑2 | Dont il est dit qu’il trouve ses origines dans la Cabale |
↑3 | Les plantes aux feuilles pointues sont à éviter près des endroits où l’on s’assoit au calme |
↑4 | Le Temple de Jérusalem |
↑5 | D’après « Kabbale et couleurs. Les mystères des nuances de la Lumière », Georges Lahy, p. 6 |
↑6 | Minhag : coutume acceptée dans une communauté juive. Certains ont force de loi, comme celle-ci |
↑7 | Kodesh : saint |