Cette citation de Romain Gary est tirée de La Danse de Gengis Cohn, un roman peu connu et dans lequel l’humour noir est très présent. Dans ce livre, Romain Gary va très loin pour choquer, écrire avec satire et même provoquer.
On sent déjà que Émile Ajar est sur le point de naître, comme si sous la plume de Gary, la limite de la provocation avait été atteinte avec ce roman.
Le paradoxe, c’est que peu de temps après cette parution et pour se renouveler, pour s’autoriser un autre style, un autre ton, Romain Gary ne parviendra pas à rester Gary pour montrer au monde ses multiples visages.
Il aura recours à l’utilisation d’un pseudonyme pour justement se renouveler. Au lieu de revenir à sa source, à sa vraie identité, il ressentira le besoin de s’en éloigner.
À l’heure où le monde semble s’essouffler, arriver au bout d’un modèle économique et social et en quête désespérée d’un renouveau, les mots de Gary sonnent juste.
Et si le renouveau passait par un retour aux sources, à nos sources, nos fondamentaux ?
Et si, pour se renouveler, il fallait revenir à ce qui est simple, basique, évident ?
La nouvelle modernité consiste peut-être à se ressourcer dans la nature et à apporter plus de simplicité à des vies qui paraissent de plus en plus compliquées.
Comme si la vraie innovation aujourd’hui consistait à retirer ce qui est superflu de nos vies pour se concentrer sur l’essentiel.
Pendant trop longtemps, nous avons pensé que pour nous renouveler, il fallait s’éloigner de nos origines, voire même faire émerger un nouvel Homme.
Pour nous sentir citoyens du monde, nous avons fait l’éloge de la puissance technologique et nous avons assisté, béats, aux prouesses des télécommunications pour faire disparaître la distance entre les différents continents.
La technologie, source incontournable du progrès, nous a fait rêver. Pourtant, c’est cette même technologie qui nous a aussi éloignés de ceux qui sont proches de nous.
À force de regarder loin et au-delà des frontières, nous avons oublié de lever les yeux de nos écrans en croisant nos voisins ou, même, en accordant assez d’importance aux personnes de notre entourage.
Nous avons perdu l’art de la discussion, oublié le charme des soirées simples à se raconter nos vies, ne savons plus très bien rester dans une réalité spacio-temporelle de l’ici et maintenant.
Aujourd’hui, après plusieurs années à perdre en qualité de présence les uns envers les autres, il semble que l’homme commence à comprendre ce qui peut être considéré comme un véritable désastre.
La technologie n’est pas malsaine en elle-même, mais elle a été utilisée sans limite et l’homme a fini par perdre le contact avec lui-même, avec sa propre solitude et avec sa capacité de faire face au cauchemar de nos enfants: l’ennui .
Pourtant l’ennui, n’est-il pas la seule source possible de créativité et d’inventivité ? Une tête mue par les notifications et stimulations de tous genres peut-elle encore être disponible pour imaginer, inventer, créer ?
Se renouveler, c’est revenir à soi. C’est faire du neuf avec ce qui a toujours existé.
C’est faire que le vieux n’est jamais vraiment vieux. Se renouveler, c’est faire cohabiter en permanence hier et aujourd’hui. C’est faire rayonner nos traditions à l’aube du vingt et unième siècle.
En Israël, on est admiratifs de voir en permanence la modernité côtoyer l’ancestral.
Que ce soit dans l’architecture, dans l’urbanisme, dans les us et coutumes ou même dans les plats culinaires : passé et présent se mélangent en permanence pour dessiner le futur.
Dans ce pays comme nulle part ailleurs, le renouveau s’incarne souvent comme un retour aux sources que l’on intègre à une modernité débridée.
Lors de la dernière fête de Souccot, qui a eu lieu en octobre 2022, une tradition des temps anciens, selon laquelle hommes et femmes se réunissaient au Temple de Jérusalem le premier jour de Souccot, est réapparue en Israël.
Ce rituel, connu sous le nom de Hakhel — « Rassemblement » —, qui se tenait tous les sept ans pour marquer la fin de la shmita — année sabbatique agricole —, avait disparu de nos traditions. Au temps des rois et des reines, la foule se massait pour écouter les prières et les versets de la Torah récités en pleine rue.
Sans que l’on ne sache vraiment pourquoi, cette tradition a été restaurée et remise au goût du jour en étant reprise par de nombreuses communautés juives dans le monde entier, notamment aux États-Unis où, en plus des versets de la Torah lus dans la rue, on a utilisé la technologie actuelle pour les retransmettre au plus grand nombre.
À travers cet exemple du Hakhel, la phrase de Gary prend toute sa dimension. Le renouveau passe par un retour aux traditions, aux sources, et les temps anciens et nouveaux, loin de s’opposer, peuvent se répondre.
Un autre exemple qui voit le triomphe de nos traditions dans nos vies actuelles est le Chabbat.
Nous débutions ce texte en parlant du ‘’dieu technologie’’ qui, peu à peu, impacte l’homme dans ses mécanismes les plus élémentaires comme dans sa capacité de concentration.
Le Chabbat implique le repos du corps et de l’esprit. En cela, le fait de se couper de la technologie pendant un jour complet rend à l’homme un peu de sa liberté.
Ne plus être dans l’attente qu’il se passe quelque chose, ne plus être en réaction aux nouvelles, ne plus avoir besoin de réagir en permanence à ce qui nous est proposé, c’est là que réside la magie du Chabbat.
En cela, la Torah est encore une fois visionnaire et d’une grande modernité quand on sait que dans certains pays, une journée hebdomadaire sans téléphone est prônée pour protéger la santé mentale des concitoyens.
Pourtant, le Chabbat a toujours été contesté, parfois même apparenté à une loi désuète, correspondant à des temps reculés, qui n’avait plus lieu d’être.
La définition du travail ayant tellement évolué, le Chabbat est aujourd’hui plus un repos de l’esprit et de l’âme que du corps à proprement parler.
C’est comme si le vieux n’est jamais vieux. Comme la mode qui remet sans cesse au goût du jour les matières et les coupes d’hier.
Et plus la modernité se nourrit de l’ancien, plus elle se l’approprie sans vouloir le faire disparaître vraiment, plus elle fait la synthèse, plus elle a de chances de rester ancrée longtemps dans l’histoire.