Les peuples, nous dit la Genèse, dans son dixième chapitre, sont nés à partir de trois pôles : Chem, Ham et Yafeth. Ils ont engendré des familles qui ont grandi et formé des tribus, de plus en plus distinctes. Puis ces tribus sont devenues de véritables embryons de peuple. Nous avons vu que pour qu’une tribu ou un groupe humain devienne un peuple, il faut pour la Torah quatre conditions : une origine commune, une langue propre, une terre particulière, une culture spécifique.
Il faut toujours bien distinguer la notion de peuple de celle de nation. Un peuple pour la Torah doit être pris dans son sens ethnique. Une nation en revanche peut être composée de plusieurs ethnies. Mais on observe que la plupart du temps, on trouve une ethnie nettement majoritaire, qui constitue la base de cette nation.
Après s’être développés à partir des trois racines, Chem, Ham et Yafeth, les peuples se sont dispersés depuis Babel dans trois directions :
Les 26 peuples de Chem sont partis vers l’Asie.
Les 30 peuples de Ham vers l’Afrique.
Les 14 peuples de Yafeth vers l’Europe.
Ils y ont posé les bases de nos peuples modernes. Que sont devenues les populations qui précédaient ? Ont-elles été décimées par un grand déluge ? Ont-elles été submergées par la grande vague humaine hautement solidaire que constituaient nos 70 peuples nés en Mésopotamie ?
Cela n’est pas notre sujet ici.
Nous ne faisons qu’observer un grand phénomène dont nous allons tenter de démontrer l’acuité en observant notre monde d’aujourd’hui. Cette répartition vers l’Europe, l’Asie et l’Afrique nous est enseignée par le Gaon de Vilna dans son commentaire en marge du Livre des Chroniques.
Dans ce précieux enseignement, on apprend également le positionnement des peuples à l’intérieur des trois grands groupes « Et tous les noms qui sont mentionnés ici sont des noms de peuples : Gomère — premier peuple cité chez Yafeth, l’Europe — prit la région proche de la pointe nord et Magog — second peuple cité chez Yafeth — après lui, et ainsi pour tous. Kouch — premier peuple cité chez Ham, l’Afrique — prit les territoires proches de l’extrême sud et l’Égypte — second peuple cité chez Ham — après lui. Et Eylam —premier peuple cité chez Chem, l’Asie — prit la fin de la partie orientale à l’est, et Achour — second peuple cité chez Chem — après lui ».
Gaon de Vilna, Livre des Chroniques 1 :3
Nous apprenons ici que l’ordre dans lequel les peuples sont énumérés dans la Torah est établi suivant leur positionnement géographique les uns par rapport aux autres.
Le premier cité dans chaque groupe est le plus éloigné de Babel, le second un peu plus près, le troisième encore plus.
Le dernier jouxte Babel, le centre de dispersion.
Cet ordre est le plus simple possible. Il va permettre, pour toutes les générations, de localiser les peuples tout au long de l’histoire. Il suffirait de reconnaître certains d’entre eux pour restituer tous les autres, comme dans un grand puzzle. Tout cela émane du texte de la Torah lui-même. Et ce, dès le début de la liste.
Elle s’ouvre par : « Voici les enfants de Chem, Ham et Yafeth ». On cite Chem, puis Ham, puis Yafeth. Or nous apprenons quelques versets plus loin que Yafeth est l’aîné, et Chem le plus jeune. On a donc tout bonnement inversé l’ordre des naissances. Première « anomalie », surtout dans une liste généalogique.
Deuxième indice, la Torah nous dit à la fin de l’énumération des peuples de chaque groupe : « Voici les enfants de Chem (Ham, Yafeth) selon leurs familles, selon leurs langues, dans leurs terres … ».
Les voici… Dans leurs terres. Nous ne voyons pourtant ici qu’une liste de noms. C’est donc l’ordre dans lequel sont placés ces noms qui indique leur position. Ils sont tout simplement énumérés par ordre de voisinage. Cet enseignement était depuis bien longtemps connu. Dans le Talmud, on l’utilise déjà pour reconnaître certains peuples d’Europe. On discute en effet, dans le traité de Yoma 10:a, du sens du verset : « Et le Créateur fera de belles choses [des largesses] pour Yafeth ».
Que sont ces « belles choses » ? C’est notamment le Second Temple, dit le Talmud, magnifique édifice, qui fut donné à Cyrus le Grand de commanditer.
Cyrus était Perse.
Mais comment sait-on que les Perses appartiennent au monde de l’Europe, et que c’est donc un descendant de Yafeth qui allait avoir le mérite de faire réaliser cette « belle chose » ? Le Talmud énumère alors certains peuples d’Europe en les traduisant dans le langage de son temps. Gomer, c’est Germania. Maday, c’est Makedonia, la Macédoine. Yavan, la Grèce. Tiras, la Perse.
Nous retrouvons la règle de concentricité retransmise 1400 ans plus tard par le Gaon de Vilna. Gomer, alias les Germains, qui sont les premiers cités dans la Torah, sont bien les plus éloignés de Babel. Tiras, cité le dernier est bien le plus proche de Babel, et la Grèce en position médiane. Maday, la Macédoine, citée dans la Torah juste avant la Grèce, est bien sa voisine, plus au nord.
Nos sages n’étaient pas des géographes.
Ils n’ont fait qu’utiliser cette très ancienne règle pour restituer les peuples en leur temps. Ce qui prouve bien que malgré les grandes invasions et les aléas de l’Histoire, les peuples étaient bel et bien reconnaissables au temps du Talmud. La fameuse invasion de Sanheriv qui a eu lieu près de mille ans plus tôt, n’a fait, comme l’enseigne le Radak, sur Isaïe 10:13, que « lever pour un temps les frontières », rendant désormais impossible de reconnaître individuellement Égyptiens, Ammonites et Moabites jusque-là frappées par certains interdits.
Les peuples sont donc énumérés de proche en proche, de manière concentrique en Europe, en Asie, comme en Afrique et c’est ce qui va nous permettre de les reconnaître aujourd’hui. Par quel miracle ? Est-ce une absolue prophétie de la Torah que d’avoir prévu à l’avance leur positionnement ?
Ces places, il faut savoir qu’ils les avaient déjà en Mésopotamie. « Les voici dans leurs terres » dit la Torah alors qu’il n’avait pas encore quitté leur région originelle. Déjà, chaque tribu, chaque peuple embryonnaire avait sa place. Les peuples de Chem étaient déjà « à droite » de leurs frères, vers l’Asie. Ceux de Ham et de Yafeth déjà « à gauche », à l’ouest de Babel, le premier vers le sud, le second vers le nord.
Il faut savoir que lorsque l’on traite de positionnements dans l’espace ou d’une action quelconque, on commence toujours par la droite qui est pour la Kabbale le pôle donateur. Ainsi, l’hébreu la droite vers la gauche. Chem, cité le premier, est donc « à droite » de ses frères, vers l’est. Puis, lorsqu’il s’agit de nord et de sud, on cite toujours le sud d’abord, car il est suivant la Kabbale le pôle donateur, énergisant par rapport au nord. Ham mentionné avant Yafeth se situe donc au sud vers l’Afrique et Yafeth au nord vers l’Europe.
Toutes ces règles kabbalistiques qui sous-tendent les textes de la Torah étaient connues depuis la nuit des temps. Il suffisait de les appliquer pour reconstituer la carte des peuples. Puis ils se sont étendus comme un grand corps qui grandit, où chaque membre garde durant la croissance, la position respective qu’il avait au départ.
Une question, bien évidemment, se pose. Comment et par quel formidable phénomène cet ordre s’est-il maintenu dans l’espace et dans le temps au travers des millénaires ?
C’est ce que nous vous proposons d’aborder ensemble dans notre prochain article.