Dans L’arrière-saison des lucioles, Henri Raczymov, romancier, essayiste, journaliste, active sa carte-mémoire pour retracer les chemins de traverse d’un parcours littéraire au long cours, dans Paris et dans le temps.
Jeune écrivain en devenir, l’auteur a d’abord évolué dans l’entourage d’un petit groupe formé par l’éditeur Georges Lambrichs autour de sa collection « Le Chemin », lequel recevait chez lui chaque mercredi des personnalités du paysage littéraire parisien, d’alors. Raczymov évoque cette figure singulière et ceux qu’il a fréquentés, qui l’ont nourri intellectuellement. Nous sommes au seuil de mai 68, l’année de ses vingt ans. Comment un Juif, fils de communiste, pouvait-il ne pas se laisser emporter par le courant ? Pour finalement marquer le pas : « Nous étions des trentenaires qui revenions de nos gauchismes respectifs, illusoirement lyriques, de la précédente décennie. Nous avions le sentiment de renouer avec le monde de nos pères. »
Le chemin de traverse bifurque vers le quartier de Belleville-Ménilmontant où ses grands-parents, venus de Pologne, s’étaient établis il y a tout juste cent ans. Un quartier entièrement détruit, jusque dans le tracé des rues. Henri, le petit Juif de Belleville « né au milieu des machines à coudres et des débris de tissus », livre ses regrets pour son père, Étienne, combattant de la FTP-MOI, « l’absent », « le mort qui n’est pas mort » et qu’il entrevoit aujourd’hui dans le reflet de son visage.
Il revient sur le passé communiste des ouvriers juifs qui tenaient leurs réunions de cellule rue des Couronnes. Quand la Guerre des Six jours, en juin 1967, déclencha un sursaut : « Ce fut la conscience que la menace qui pesait ces jours-là sur Israël rejouait un drame dont le dénouement aurait pu être fatal. » Henri Raczymov a vécu de nombreuses aventures littéraires, notamment celle de la revue Traces, dirigée par Luc Rosenzweig, à laquelle ont contribué de nombreux intellectuels et écrivains voués à l’écriture de nos mémoires diasporisées. Il s’agissait de définir une littérature juive dans une langue non juive non sans d’âpres débats. Chemin faisant, il rencontra le yiddish, la langue, la littérature, la musique, les chansons, et devint traducteur.
Dans ses pérégrinations aux couleurs sépia, au ton mélancolique et à l’humour en demi-teinte, Henri Raczymov veille à maintenir le souvenir de celles et ceux qui peuplent sont petit cimetière personnel et tombés dans l’oubli. « Ces gens dont l’absence vous dit que le monde qui vous entoure n’est plus exactement le même et n’a plus la même saveur. » Aussi évoque-t-il ces lucioles dans ce livre qui lui survivra peut-être, et leur mémoire avec. La littérature comme consolation.
L’arrière-saison des lucioles, Henri Raczymov, éditions de L’Antilope.