Le désir profond de partager est perceptible chez tous les élèves de Manitou, assidus ou non.
Il n’y a pas là de « fan attitude », de vénération obséquieuse.
Non. Juste le sentiment de vouloir transmettre ce que l’on a reçu, ce que l’on a compris et découvert grâce aux enseignements du Rav Léon Ashkenazi dit Manitou.
Telle une lumière qui éclairerait enfin le chemin d’un questionnement lancinant et que l’on souhaiterait offrir à d’autres, encore dans le brouillard.
Né à Oran le 21 juin 1922, son père fut successivement grand rabbin d’Oran, d’Alger, puis dernier grand rabbin d’Algérie.
Sa mère, Rachel Touboul, était la fille du dayan d’Oran, Rav Haim Touboul. Léon Ashkenazi intègre les Eclaireuses et Eclaireurs Israélites de France (EEIF) où il reçoit le totem de «Manitou ».
Un totem dont il se dit dans certains cercles qu’il faisait allusion, déjà, à son art oral de tout manier…
En 1946, il intègre Orsay (École Gilbert-Bloch), école des cadres fondée par les Éclaireurs Israélites de France (EIF), créée par Robert Gamzon qui formera une génération d’enseignants de haut niveau comme Armand Abécassis, Gérard Israël, Henri Atlan, Aaron Fraenckel et Stéphane Moses.
Léon Ashkenazi y rencontre sa future femme, Esther Papierman, dite Bambi.
En 1968, il fait son Alyah et étudie auprès du Rav Zvi Yehouda Kook et du Rav Shlomo Benyamin Ashlag. Il fonde en 1974 à Jérusalem l’Institut Mayanot, un centre d’études juives et israéliennes pour francophones.
Il s’éteint en 1996, laissant un héritage oral immense qui insuffle une modernité et un dynamisme inégalé au judaïsme français, et par extension au judaïsme tout court.
Selon Sandrine Szwarc, enseignante-chercheuse, coordinatrice des enseignements de l’Institut d’études juives Élie Wiesel, et autrice d’une de biographie de Manitou « Léon Ashkenazi a inauguré une troisième voie entre l’orthodoxie d’un côté et les universitaires juifs de l’autre.
Il a réconcilié la tradition, les grands philosophes et la culture générale »
Mais pas seulement. Manitou instille en effet la centralité de Sion au cœur du dispositif juif. Il parle du retour à l’ « hébraïté » qui déclare caduque la notion de peuple Juif au profit du peuple d’Israël, souverain sur sa terre après 2000 ans d’exil.
Une véritable révolution pour l’époque.
Homme de l’oralité, ce dernier a peu écrit.
Comme s’il savait, au fond, que les élèves qui assistaient à ses conférences, à l’Institut Mayanot, au Centre Yaïr ou partout ailleurs, seraient autant d’ambassadeurs de cette Torah d’Israël, découverte auprès du Rav Kook, qu’il divulguait au grand public avec une intelligence fulgurante, une éloquence inégalable et une vision personnelle dont l’objectif ultime était de voir se transformer les Juifs en hébreux.
Il ne se trompait pas. Vingt six ans après, certains retranscrivent des cassettes, d’autres éditent des livres.
Olivier Cohen a choisi le digital en créant un site entièrement dédié à la pensée du maître, rencontrée, il y a seize ans.
Véritable mine d’or sur le net pour tout ce qui concerne Manitou, ce site manitou-lhebreu.org participe du travail d’Olivier Cohen, devenu un spécialiste des enseignements du maître, à réveiller l’intérêt pour Manitou au sein du monde francophone en général.
Michael Grynszpan avait de son côté réalisé un court documentaire consacré à l’incroyable succès de la pensée de Manitou en Israël. Intitulé « Dor Manitou » (génération Manitou), le film montrait la passion des jeunes israéliens de tout bord pour l’enseignement de ce pédagogue hors pair qui ne cherchait jamais à imposer sa pensée à son élève, mais l’incitait ,bien au contraire, à mettre en œuvre sa propre réflexion.
Un concept quelque peu novateur au sein du judaïsme israélien, souvent marqué par un dogmatisme devenu trop lourd à supporter au sein de la jeune génération.
Entre les deux hommes, le courant passe. Olivier Cohen mettra pourtant un an à convaincre Michael Grynszpan, auteur de nombreux documentaires, dont certains primés à l’international, à réaliser un film sur Manitou.
« Ce film est le fruit d’un an de travail, un film engagé, un film qui a pour ambition de montrer la lumière du message porté par Israël et faire entendre ce que le judaïsme a à dire » explique Michael Grynszpan.
« On ne pouvait pas tout raconter. Son parcours est si intense ! Nous nous sommes mis d’accord avec Olivier Cohen pour aborder les sujets de base de l’enseignement de Manitou et se demander quel était finalement le message du judaïsme aujourd’hui » précise le réalisateur.
Il ne s’agit donc pas d’un film biographique, mais d’une tentative de résumer à travers les nombreux intervenants interviewés la Torah de Manitou qui n’a jamais été aussi actuelle.
« C’est cette modernité qui nous a guidé et c’est en cela que ce film est important. Important pour les Juifs, pour Israël et aussi pour tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur la Parole authentique de notre tradition (si souvent caricaturée, déformée ou même bafouée). J’espère aussi qu’il incitera les spectateurs à étudier les cours et articles de Manitou pour mieux comprendre le génie du judaïsme. Nous espérons que ce film sera vu par le plus grand nombre ».
Cheminer dans l’intime de la pensée de Manitou : un projet ambitieux, mais qui répond peut-être aussi à une question plus personnelle du réalisateur.
« Lors d’un cours de Manitou auquel j’ai eu la chance d’assister, je lui ai posé une question à laquelle il a réagi un peu rudement, sans vraiment y répondre. Peu après son secrétariat m’a contacté en me disant que Manitou tenait à me rencontrer. Par trois fois le rendez-vous a été annulé car il était souffrant. Puis il est décédé. Je n’ai donc jamais su ce que Manitou m’aurait transmis pendant ce rendez-vous manqué. Encore aujourd’hui je me demande ce qu’il voulait me dire. »
Une interrogation qui pourrait presque être un enseignement. Une incitation à questionner, à se questionner afin de toujours être en chemin comme le souhaitait Manitou.
Michael Grynszpan est auteur et réalisateur de « The Forgotten Refugees » sur l’histoire des Juifs dans le monde arabe, un film primé et diffusé à l’international, de « Descendants de nazis : l’héritage infernal », réalisé avec Marie-Pierre Raimbault pour France 3, de « Toulouse entre rose et gris », ou encore de « Monsieur Chouchani ».