L’allemand de ma mère de Catherine Clément. L’auteure redonne vie aux personnes et aux événements qui ont laissé leur empreinte en elle depuis l’enfance
Philosophe, essayiste et romancière, Catherine Clément revient, à 80 ans passés, sur les premières années de sa vie — y compris in utero —, marquées du sceau de la guerre et de la traque des Juifs.
Avec un soupçon d’humour tendre et caustique, elle relate ainsi la rencontre de ses parents, en 1937 : « Ils n’avaient rien à faire ensemble. »
Yves était très amoureux. Raymonde — Rivka — « voulait un goy, un vrai, catholique si possible, un rempart contre Hitler ».
À contrecœur, leurs parents respectifs acceptent leur union, à la condition que leurs futurs enfants soient baptisés. La guerre est aux portes de l’Europe.
Georges, le père de Raymonde, dote sa fille d’une belle pharmacie, rue du Cherche-Midi, dans le 6e arrondissement de Paris. C’est là que le destin de la famille va se jouer.
Le 7 novembre 1938, Raymonde accueille et réconforte dans son officine un homme du nom de Samuel Schütz, qui se présente comme un médecin réfugié antinazi.
Ce même jour, Hermann Grünspan abat le 3e secrétaire à l’Ambassade d’Allemagne, prétexte à la Nuit de Cristal.
Catherine Clément tisse avec adresse tout au long de son récit des liens entre le vécu quotidien de ses ascendants et le cruel déploiement de la grande Histoire.
Après la naissance, en février 1939, de Catherine, vite baptisée, vite expédiée chez ses grands-parents paternels, dans un village des bords de Loire, à la fin de la « drôle de guerre », en août 40, Raymonde remonte à Paris.
À peine arrivée rue du Cherche-Midi, elle note la présence d’un homme posté sur le trottoir d’en face, en uniforme vert-de-gris.
Le prétendu Samuel Schütz s’avère être un officier de la Wehrmacht, logé avec l’Abwehr — le Renseignement allemand —, à l’hôtel Lutétia. Antinazi convaincu, il protègera la jeune femme en la prévenant des rafles.
Mais l’étau se resserre impitoyablement contre les Juifs. Catherine Clément déroule une à une les étapes de la « solution finale » en Europe, en France où la collaboration du régime de Vichy aggrave la menace.
Ainsi, les parents de Raymonde, Georges et Sipa, réfugiés dans le Lot, vont finalement être dénoncés, capturés et déportés.
En 1945, la petite Catherine et sa mère se rendent régulièrement à l’hôtel Lutétia dans l’espoir de les retrouver. Un jour se présente à la pharmacie un couple qui a vu ses parents monter dans le camion pour Birkenau.
Effondrée, Raymonde, enceinte de 7 mois, accouche d’un petit garçon, Jérôme, le frère de Catherine.
Avec pudeur, l’auteure redonne vie aux personnes et aux événements qui ont laissé leur empreinte en elle depuis l’enfance et fait œuvre de transmission.
Le Seuil. 206 p.