Chaque année, en Israël, de nombreux ouvrages destinés aux enfants abordent le thème délicat de la Shoah. En revanche, il est frappant de constater qu’il existe très peu de livres axés sur les différentes guerres d’Israël. En effet, le nombre de publications se limite à environ une trentaine d’ouvrages traitant de ce sujet. Cette disparité invite à une réflexion sur l’absence de ces récits, malgré l’importance cruciale de l’éthos sécuritaire au sein de la société israélienne.
Une distinction majeure entre ces deux thèmes réside dans la nature de leur narration. Alors que la Seconde Guerre mondiale possède un cadre historique bien défini et appartient au passé, les conflits d’Israël se révèlent nettement plus complexes. Leur cadre est vaste, leur histoire est encore en cours d’écriture. Une autre raison, expliquant la difficulté d’écrire de la littérature pour enfants sur les guerres d’Israël, réside dans la nature psychologique inhérente à la littérature jeunesse. Cette forme de récit suit généralement un schéma psychologique qui comprend la présentation d’un problème, le développement d’une difficulté, ainsi que la résolution réussie de ce problème.
Ce schéma narratif a pour but de susciter et de répondre aux peurs et aux désirs de l’enfant. À travers cette structure, l’enfant peut parvenir à une catharsis, un terme de la psychologie moderne, permettant de se libérer des émotions et des pulsions et de retrouver un état de calme et de bien-être. Cette dynamique ne peut se faire que lorsque la fin de l’histoire est connue et positive, surtout s’il s’agit d’une guerre existentielle comme celle que traverse Israël aujourd’hui. Le deuil peut ébranler le petit lecteur, car les héros, souvent des soldats morts pour la patrie, pourraient être le frère ou le père de l’enfant.
Cela fonctionne dans des histoires dont l’issue est connue et positive, comme c’est le cas dans les récits sur la Shoah. Malgré les événements difficiles et cruels qui s’y déroulent, ces histoires parviennent à trouver un point de conclusion lorsque la guerre prend fin, que des membres de la famille sont retrouvés ou que le départ vers un nouveau pays, en général vers Israël, offre l’opportunité d’un nouveau départ et d’une nouvelle vie.
Cependant, dans les livres traitant des guerres d’Israël, le deuil ébranle la vie du protagoniste d’une manière qui va à l’encontre du schéma psychologique traditionnel. L’absence d’une conclusion apaisante ne permet pas au jeune lecteur de retrouver la sérénité intérieure à laquelle il est habitué.Un autre aspect à considérer est la dimension de l’actualité dans ces récits. Les livres sur la Shoah perpétuent les histoires de personnes, la plupart du temps décédées et évoquent un passé révolu. Ils réveillent également la émouna, car ils racontent souvent des sauvetages sinon miraculeux, du moins, marqués par une “mystérieuse providence” venue d’en haut. Cependant, les livres abordant les guerres d’Israël ne s’inscrivent pas dans la préservation de la mémoire, car ces conflits ne sont pas encore terminés, faisant partie intégrante du présent israélien. Ils marquent la conscience de l’enfant, qui transformera (ou pas) l’angoisse inhérente à ce genre de situation en foi et en confiance envers D.ieu. Cette situation complexe rend difficile la rédaction de livres pour enfants sur ces guerres particulièrement délicates, parce qu’elle ne permet pas de fournir le réconfort et la résolution habituels que l’on trouve dans la littérature dédiée à la jeunesse. Peu de livres parlent de D.ieu, de emouna, de foi, qui pourraient apporter aux enfants un réconfort et un espoir à travers la prière, la sagesse juive. Il y a donc ici un chantier. L’écriture de l’histoire des guerres d’Israël, par le prisme de la émouna, reste à développer. Beaucoup a été fait mais il reste de larges secteurs de la société israélienne qui n’ont pas accès à cette vision de l’histoire contemporaine du peuple juif.
En hébreu, les livres pour enfants sur la guerre se concentrent principalement sur trois événements majeurs de l’histoire israélienne : le mandat britannique, la guerre de l’Indépendance et la guerre de Yom Kippour.
- Le Mandat Britannique : ces livres racontent l’histoire d’un groupe d’enfants d’Eretz Israël qui rejoignent les rangs de la ’’ Mahteret’’, une organisation clandestine pour soutenir leur lutte contre les Britanniques. Ce récit est accueilli favorablement, car il offre une aventure nationale palpitante. Le choix de se pencher sur le mandat britannique est motivé à la fois par le potentiel littéraire d’une histoire pleine de suspense et par son importance historique, racontant des événements réels.
- La Guerre de l’Indépendance : les auteurs racontant cette histoire semblent espérer que la paix règne après la première guerre de l’État d’Israël. De plus, ces récits avaient un objectif pédagogique, préparant les enfants à leur futur rôle de soldats et cultivant leur sentiment de victoire nationale. Ils étaient empreints de références à des héros bibliques tels que David, la prophétesse Déborah et Samson, dans le contexte de l’éthos sioniste. Cependant, ils passaient sous silence l’aspect littéralement miraculeux de la survie d’un état-croupion agressé par des armées bien plus puissantes que celle du jeune état. En exaltant l’héroïsme, on oubliait ce que le rav de Brisk appelait “le baiser de la providence divine”.
- La Guerre de Yom Kippour : cette guerre a profondément marqué la littérature jeunesse israélienne. Après cette période traumatisante, trois œuvres majeures sont entrées dans le canon de la littérature pour enfants. Le recueil de poèmes de Tertzah Ether intitulé La guerre est une chose qui pleure (The United Kibbutz, 1975) ainsi que les romans Piki is me d’Irena Liebman (Amichai, 1976) et Animal of the Dark d’Uri Orlev (Am Oved, 1976). Cette guerre a radicalement changé la société israélienne, passant de l’écriture sur les victoires à l’écriture sur le deuil. Les poèmes d’Esther et le roman de Liebman dépeignent des familles endeuillées, en particulier une mère et ses deux fils, après la mort du père, dont l’ombre plane sur la vie de Piki, le héros. Liebman décrit le deuil comme un élément présent dans chaque famille du roman et trace une ligne continue depuis la Shoah jusqu’aux guerres d’Israël. Les enfants qui ont perdu leur père se voient contraints de devenir adultes du jour au lendemain. Cette guerre a été suivie d’un vaste mouvement de retour aux sources qui a bouleversé la société israélienne et qui a marqué le narratif de cette guerre. On a moins cru dans la “force armée” et beaucoup plus dans la “protection d’en-haut”.
Certains ouvrages actuels revisitent des événements historiques depuis l’époque du « vieux yishouv », tandis que d’autres se concentrent davantage sur l’actualité. Ils abordent des sujets tels que les parents effectuant un service réserviste et décrivent les attentes et les craintes des enfants pour leurs parents en service. Un exemple notable est le livre Papa va à la réserve de Yoez Hendel.
De plus, plusieurs livres explorent le thème des roquettes et des missiles lancés depuis Gaza sur Israël comme le livre de Liora Elaon, intitulé Tseva Adom alerte rouge, du nom de la sirène. Cette nouvelle génération de livres sur la guerre témoigne d’une évolution dans la littérature pour enfants en Israël, abordant des sujets plus contemporains et faisant écho aux réalités du pays.
Je tiens à vous présenter un livre publié en 2021 qui demeure d’une grande pertinence aujourd’hui, car il rattrape la réalité actuelle. L’auteure, Lilah Kifniss, résidant au Kibboutz Bééri, a écrit ‘’Le Chant des Déclencheurs’’. Dans la préface de ce livre, elle relate comment elle a été inspirée par sa rencontre avec les enfants du conseil régional d’Eshkol, et a écrit en collaboration avec eux, à partir de leur expérience commune de vivre dans un état d’urgence permanent. Ce livre explore le bruit des roquettes et les émotions qu’elles suscitent chez les enfants, des émotions qui perdurent bien au-delà du sifflement initial.
C’est un ouvrage marquant, offrant un regard poignant sur la réalité des enfants vivant sous la menace des roquettes. L’auteure parvient à capter les émotions de ces jeunes tout en décrivant l’urgence constante qui pèse sur leur quotidien. Les mots de Lilah Kifniss nous rappellent l’importance de l’empathie et de la compréhension, ainsi que la nécessité d’œuvrer inlassablement pour un meilleur avenir, où les enfants pourront grandir sans l’ombre menaçante des sirènes.
Cependant, il est important de noter que la vie de Lilah Kifniss et de son mari Thierry a pris un tournant dramatique.
À notre grande tristesse, Lilah Kifniss et son mari Aviatar ont été pris en otages par le Hamas le samedi 7 octobre 2023. Plus tard, nous avons appris que leurs corps ont été retrouvés. Ils ont été assassinés par le hamas. Où la barbarie rencontre l’humanité; où notre emouna nous permet d’intégrer le destin spirituel d’Israël dans un monde obscurci par la démence génocidaire.
Que D.ieu aide Tsahal à libérer tous nos otages et à les ramener sains et saufs.