« Je suis pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour ». Le décor est posé avec cette définition autoportrait d’un homme qui a toujours nagé à contre-courant. Mais avec succès, ce qui est rare.
André Isaac, officiellement André Pierre-Dac (à partir de 1950) naît dans une famille juive originaire d’Alsace qui s’est installée (après la défaite de 1870) à Châlons-sur-Marne. « Je ne comprends pas, étant donné mon origine juive, que ma ville natale de Châlons-sur-Marne, ne soit pas renommé Chalom-sur-Marne » dira Pierre-Dac au sujet de sa ville de naissance.
Son père Salomon Isaac est boucher et sa mère, Berthe Kahn, femme au foyer. Il a trois ans, quand sa famille déménage à Paris et ouvre une boucherie dans le quartier de la Villette. La première partie de sa vie est placée sous le signe d’une enfance tranquille, joyeuse et… farceuse.
En 1908, il est renvoyé de son lycée après avoir accroché un hareng saur à la queue de l’habit de son professeur de maths. Un épisode qui augure de son futur talent à tourner la vie en dérision en faisant tomber l’Autorité de son piédestal. L’humour juif en somme…
Selon Jacques Pessis, exécuteur testamentaire, biographe de l’humoriste et co-commissaire de l’exposition au mahJ « Pierre-Dac, considérait que son humour était un humour juif, “qui avait 5 000 ans d’avance”. Cet humour lui venait aussi de son père qui était boucher. Donc il y avait un mélange de louchebem -le langage des bouchers- et d’humour juif, qui est un humour très particulier. ». Un humour dont la particularité est d’instiller à plus ou moins haute dose du comique dans les événements tragiques, ce que Pierre-Dac pratiquera à la lettre avec un talent féroce.
« La mort n’est, en définitive, que le résultat d’un défaut d’éducation puisqu’elle est la conséquence d’un manque de savoir vivre » affirme Pierre-Dac qui éprouve des difficultés à vivre, comme en témoigne ses quatre tentatives de suicide.
Un mal de vivre qui, selon ses proches, prendrait sa racine dans la perte de son frère Marcel, mort pendant la Première Guerre Mondiale et au cours de laquelle lui-même sera grièvement blessé. Il ne se remettra jamais vraiment de cette période qui sème les graines d’une dépression larvée, souvent contenue mais qui montrera régulièrement son visage dans la vie de Pierre-Dac.
Après la guerre, il fait de petits métiers à Paris, puis devient chansonnier dans des cabarets. En 1935, on le retrouve à la radio pour laquelle il a créé une émission humoristique La Course au Trésor. Il anime également La Société des Loufoques, qui remporte un grand succès. Sa carrière est définitivement lancée avec L’Os à moelle en 1938, une publication humoristique, qui fait de l’absurde sa ligne éditoriale. Les petites annonces du journal vantent ainsi les mérites de « la pâte à noircir les tunnels », de « porte-monnaie étanches pour argent liquide », et autre « trous pour planter des arbres »…
Mais la période n’est pas à la rigolade. En juin 1940, l’équipe du journal quitte Paris qui se prépare à être envahie par les nazis. Dès novembre 41, Pierre-Dac se prépare à rejoindre Londres. Il lui faudra de la ténacité et du courage pour mettre son projet à exécution. Arrêté à deux reprises et incarcéré en Espagne, il finit, après de nombreuses péripéties, à rejoindre l’équipe « Les Français parlent aux Français » de Radio Londres. Il s’en donne alors à cœur joie en mettant son talent de redoutable parolier au service de la France libre.
Il donne ainsi sa voix au célèbre refrain de Jean Oberlé « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand » sur l’air de La Cucaracha. Après la Libération, Pierre-Dac enchaîne les créations artistiques, les spectacles et les rencontres professionnelles et amicales. Robert Lamoureux, mais aussi Francis Blanche, deviennent ses complices pour donner toujours plus d’envol à ses délires poétiques, philosophiques et engagés.
Radio, télévision, théâtre, tous les podiums sont bons pour semer ses phrases cultes et ses mots d’esprit dont certains resteront des sources d’inspiration pour de nombreux humoristes. Parmi eux, le célèbre Schmilblick, qui « ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout. Il est rigoureusement intégral ! » repris par Coluche et Guy Lux.
C’est encore Pierre-Dac, qui bien avant Coluche, se déclare candidat en 1965 à la présidentielle avec le MOU (Mouvement Ondulatoire Unifié) lors d’une conférence à l’Élysée-Matignon. Pour donner corps à son canular largement médiatisé, il désigne Jacques Martin Premier ministre, Jean Yanne et René Goscinny comme futurs ministres.
Une blague de potache qui rencontre un tel succès que cela inquiète le pouvoir en place. On demande à Pierre-Dac de se retirer. Il en profite pour faire un bon mot : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de l’extrême droite, la magistrature suprême. Il y a donc désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n’ai aucune chance et je préfère renoncer ».
Pierre-Dac meurt en 1975. Il a su bouleverser les codes de l’humour pour en faire un art de l’impertinence à part entière. L’exposition organisée par le mahJ propose « 250 documents issus des archives familiales, extraits de films, émissions télévisées et radiophoniques éclairent le parcours personnel et l’œuvre de ce maître de l’absurde, qui présida à la naissance de l’humour contemporain ».
* (Musée d’art et d’histoire du Judaïsme)