Aux origines — Berechit
René Goscinny naît le 14 août 1926 au 42, rue du Fer-à-Moulin, dans le 5e arrondissement de Paris. Ses parents sont des immigrés juifs, originaires d’Europe de l’Est. Sa mère, Hannah Beresniak, vient de Khodorkov, une bourgade d’Ukraine. Elle est la fille d’Abraham Beresniak, un instituteur érudit et polyglotte, pur produit du mouvement de la « Haskalah ». Son père, Stanislas, vient de Varsovie. Ils se sont installés à Paris en 1905, mariés en 1919, et ont été naturalisés Français en 1926, juste avant la naissance de leur fils.
Stanislas est ingénieur chimiste. En 1923, il tente une expérience agricole au Nicaragua, puis part à Buenos Aires, envoyé par la Jewish Colonisation Association de Maurice de Hirsh. René évolue dans une famille éloignée de la religion, scolarisé dans l’ambiance hétéroclite du collège français de Buenos Aires. Il apprend l’espagnol et entend parler français et yiddish à la maison. Il lit les classiques français et les aventures de Patoruzù, un héros populaire argentin. Grâce au travail de son grand-père imprimeur, il est déjà familier avec l’esthétisme des livres, la recherche du joli lettrage et le découpage efficace d’une phrase.
La Seconde Guerre mondiale — Ki tetsé
René a 13 ans quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Si ses parents sont à l’abri, une partie de sa famille restée en Europe sera victime de la Shoah. Le grand-père, Abraham, réfugié en zone libre, meurt en 1942. Son imprimerie est confisquée. Trois de ses oncles — Léon, Volodia et Maurice — sont arrêtés pour avoir imprimé des tracts anti-allemands et meurent en déportation, dans les camps de Pithiviers et d’Auschwitz. La famille Goscinny ne le découvre qu’à la Libération.
De l’autre côté de l’Atlantique, Stanislas a rejoint le « Comité de Gaulle » dès août 1940. Le 26 décembre 1943, il meurt d’une hémorragie cérébrale, ce qui fait basculer la famille dans la précarité. René commence à publier ses premiers textes et dessins. Après la guerre, il quitte, avec sa mère, l’Argentine pour New York, à l’époque première ville juive au monde. Il y croise la route de Harvey Kurtzman et Will Elder, auteurs de bandes dessinées, et de John Severin et Jack Davis qui l’initient à l’art du comic book, en vogue en Amérique : l’apparition des super-héros en BD est clairement liée au processus d’intégration des immigrés juifs aux États-Unis.
Le retour en France — Le’h lé’ha
Alors qu’il aurait pu rejoindre l’armée américaine et obtenir la nationalité, René s’engage dans l’armée française, en 1946, au sein du bataillon d’infanterie alpine. Promu caporal-chef, Goscinny devient illustrateur officiel du régiment. Le général de Lattre de Tassigny, amusé par ses dessins, le nomme même sergent !
De retour à Paris, en 1951, il change d’orientation : « Quand j’ai entendu dire : « Le métier de scénariste ? C’est à la portée du premier imbécile venu », j’ai compris que j’avais trouvé ma voie ! », explique-t-il. Il collabore d’abord avec Sempé pour Le Petit Nicolas, Tabary pour Iznogoud, et surtout Albert Uderzo, « l’ami comme on en a qu’un », fils d’immigrés italiens, avec qui il crée, en 1959, Les aventures d’Astérix, avant de prendre la direction du journal Pilote.
Astérix, un héros juif ? — Toledot
Goscinny ne s’est jamais vraiment exprimé sur son judaïsme ni sur l’influence de son histoire personnelle sur son travail. Pourtant, quand, dans les années 70, on l’accuse de racisme, il réplique avec colère : « Je n’accepte pas ! Moi raciste ! Alors qu’une bonne partie de ma famille a terminé dans les fours des camps de concentration ! Je n’ai jamais regardé la couleur, la race, la religion des gens. Je ne vois que des hommes, c’est tout. »
Anne Goscinny, sa fille unique, témoigne que les racines de son père ont eu un impact sur sa création. Elle raconte que sa grand-mère, Hannah, évoquait souvent son village natal et les persécutions de son peuple, isolé et combatif. Les similitudes entre la population du shtetl et le petit village gaulois sont fortes. On peut facilement y voir une allégorie du ghetto juif. « J’ai lu que les couleurs des braies d’Obélix, bleu et blanc, sont celles d’Israël » s’amuse-t-elle. Quant au nom d’Astérix, on peut également lui trouver un sens caché : en grec « aster » signifie « étoile », et le mot celte « rix » se traduit par « roi ». Littéralement, Astérix est donc le « roi des étoiles ». De là à trouver un lien, conscient ou pas, avec Israël, il n’y a qu’un pas !
René Goscinny en Israël — Devarim
S’il est discret, Goscinny entretient malgré tout une relation spirituelle avec le judaïsme. Il effectuera son premier — et unique — voyage en Israël en 1977. À l’époque, sa femme Gilberte apprend qu’elle est atteinte d’un cancer. Goscinny se recueille au Kotel, à Jérusalem. Sa fille raconte : « Pour la première fois de ma vie, j’ai vu mon père porter la kippa et écrire un petit mot qu’il a glissé dans le Mur. » Il y demande que sa femme et sa fille soient en bonne santé et heureuses. Ironie du sort, c’est lui qui mourra deux mois plus tard d’un infarctus. Uderzo fait le voyage à Jérusalem et finit, seul, le scénario et les dessins de L’Odyssée d’Astérix, dans lequel le petit Gaulois foule la Terre sainte. Goscinny y est caricaturé en commis juif nommé Saül Péhyé, jeu de mots sur le sketch de Fernand Raynaud « Ça eut payé ».
À l’instar des créateurs juifs de comics américains, Goscinny a joué un rôle essentiel dans l’évolution de la bande dessinée française. Pudique sur ses origines et peu bavard sur son histoire, il a emporté avec lui les secrets de ses inspirations. Inhumé dans un premier temps au cimetière du Montparnasse à Paris, René Goscinny repose aujourd’hui au carré juif du cimetière du Château, à Nice.