De quoi s’agit-il donc ? Du dernier film, quasi autobiographique, du réalisateur : The Fablemans, tout fraîchement auréolé de deux distinctions aux derniers Golden Globes, meilleur drame et meilleur réalisateur.
Derrière ce nom de famille d’emprunt et de fiction, il relate son enfance : sa famille et sa découverte du cinéma.
« FABLEMAN » donc, autrement dit : « l’homme de la fable », car comment pourrait-on qualifier Spielberg, si ce n’est celui qui, avec brio, a consacré sa vie à raconter des histoires ?
Et n’y a-t-il plus ancré dans le judaïsme, depuis sa genèse même, que cette propension, cette volonté ardente et cette nécessité absolue de raconter des histoires ?
La Bible étant le livre par excellence qui utilise l’histoire, la parabole, pour transmettre ses enseignements.
Ainsi, au-delà de la volonté profonde de Spielberg, qui entend évoquer son enfance, les aléas de sa famille et son amour du cinéma, le film symbolise au mieux la thématique si essentielle du rêve face à la réalité, du cœur face à la raison et de l’âme face au corps.
En effet, Spielberg nous dépeint le caractère de sa mère, artiste dans l’âme, celle qui lui a probablement communiqué cet amour effréné de l’imaginaire et de l’imagination, du rêve et de la magie.
Face à elle, le père est une pure antithèse : brave scientifique froid, intellectuel et un peu trop rationnel.
À travers cet antagonisme, le réalisateur met à jour et dénoue peu à peu les fils entrelacés de cette relation de couple qui ne pouvait fonctionner et aboutira inévitablement à la rupture et au divorce.
À travers sa propre expérience, qui relève de l’intime — le metteur en scène avoue d’ailleurs avoir souvent été au bord des larmes lors du tournage —, Spielberg nous montre ainsi ce que la nature humaine peut receler d’aspiration à rêver et à dépasser ce monde du réel.
C’est à travers sa rencontre avec le cinéma qu’il parviendra à ce saut dans le monde onirique des histoires.
Dès lors, la beauté et la poésie vont naître de ces scènes où le réalisateur, encore enfant, découvre pour la première fois son tout premier film — « Sous le plus grand chapiteau du monde » — et le véritable choc émotionnel que le film exercera sur lui et qui influencera sa vie.
Ainsi, Spielberg n’aura de cesse d’opérer un retour pudique et émouvant dans son passé et dans sa passion à mettre en scène la vie, celle de ses proches, et à diriger au sens propre cette vie parallèle.
Ce que nous dit ce film de la force du récit, de la puissance d’un metteur en scène est essentiel : lui qui n’a été, dans la « vraie » vie, somme toute qu’un enfant puis un jeune homme assez fragile, timoré et peu sûr de lui, parvient, dès lors qu’il tient sa « baguette magique », sa précieuse caméra dans les mains, à se transformer pour devenir cet autre : une sorte de démiurge qui acquiert alors un pouvoir, voire un ascendant sur son entourage.
Il est alors celui qui parvient à découvrir, derrière l’apparence du réel, derrière sa dimension littérale, des choses cachées, non dites, à l’image de cette « apparente » banale scène de film amateur où il filme des instants de vie ordinaire de sa famille, mais parvient, du même coup, sans même le vouloir, à capter des instants furtifs et cachés.
C’est lui également qui parvient à filmer son véritable ennemi et bourreau au collège de telle manière que celui-ci se sente infériorisé et fragilisé par les images tournées.
Que nous dit ce film de profond finalement ?
Que la force et la propension à raconter des histoires est bien la caractéristique de la tradition juive.
De même que Spielberg a beaucoup souffert d’antisémitisme dans sa jeunesse — comme le relate le film — et que son art cinématographique a pu l’aider à surmonter ces obstacles, de même la force du peuple juif a toujours été de raconter et de se raconter, pour dépasser et transcender une réalité bien souvent trop éprouvante.
C’est ainsi que derrière ce qui constitue probablement le film le plus personnel et profond de Spielberg se cache la clé même du secret de l’histoire juive : inventer et raconter des histoires, non pas pour fuir le monde, mais pour s’y confronter davantage encore et, avec un regard aiguisé, voir plus loin.
Une telle vision met ainsi en lumière une triple corde, difficile à rompre : celle du corps, ancré sur la terre, comme la mèche qui jamais ne s’échappe de sa base ; celle de l’âme qui aspire sans relâche au ciel, comme la flamme qui désire s’envoler ; et la fable, qui magnifie cette relation paradoxale, comme nous le rappelle le rêve prophétique de Yaacov, qui est un véritable pont entre le présent et le futur, entre un réel à venir et un présent à vivre.