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Dans le port d’Amsterdam…

Non, le port d'Amsterdam, qui vient malheureusement de surgir dans l'actualité de l'antisémitisme, ça n'est pas seulement la chanson culte de Jacques Brel. Ça n'est pas non plus seulement la capitale d'un plat pays, illustrée par ses célèbres canaux, sur un dépliant touristique pour fins de semaine. Ça n'est même pas seulement pour nous un lieu de mémoire, autour de la figure emblématique d'Anne Frank. C'est tout cela, bien sûr, mais pas seulement : car sur une longue période, allant du XVIIe au XVIIIe siècle, Amsterdam fut avant tout, pour ce qui nous concerne, une capitale du monde juif.
Dans le port d'Amsterdam…

Les Marranes

Amsterdam, au XVIIe siècle, c’est en effet le lieu d’une rencontre étonnante entre deux mondes a priori étrangers : il y a, d’une part, une ville qui sort des guerres de religion et où dominent désormais les tenants de la Réforme protestante ; on y compte de nombreux érudits, imprégnés des idéaux humanistes, intrigués depuis le début de la Renaissance par ce que peut leur apprendre la « vérité hébraïque ». Et il y a, d’autre part, un flot continu de Juifs marranes, quittant secrètement l’Espagne et le Portugal, en quête de lieux de refuge éloignés des tribunaux de l’Inquisition, où ils pourraient reprendre (ou découvrir, pour les plus jeunes) une vie juive librement assumée. Certains errent sur tout le pourtour de la Méditerranée, et jusqu’en Erets Israël, qui connaît grâce à eux un extraordinaire renouveau. D’autres trouvent refuge dans le sud-ouest de la France. Certains gagnent les Amériques, nouvellement découvertes et colonisées. Un petit nombre prend la route du Nord, cherchant à tirer profit de liens commerciaux, noués déjà depuis l’Espagne et le Portugal, avec certains ports importants : Rouen, Anvers, Hambourg, mais surtout Amsterdam. Ils y trouvent alors un accueil tout d’abord réservé, mais de plus en plus marqué par une relative tolérance. De fait, les conversos sont autorisés à revenir ouvertement au judaïsme et à y développer assez librement leurs activités cultuelles et économiques. Ils vont dès lors jouer un rôle de premier plan dans le développement économique et culturel de cette ville, dont la réputation se répand comme centre cosmopolite et tolérant à l’égard des minorités religieuses.

 

Grandes figures et réalisations 

Au cours du XVIIe siècle, on va voir apparaître à Amsterdam d’éminentes et emblématiques figures : au premier plan d’entre elles, Menaché ben Israël, né au Portugal en 1604 sous le nom de Manoel Dias Soeiro. Il avait gardé de son éducation portugaise une grande érudition, ainsi que la maîtrise de langues telles que le latin, alors langue commune de tout le monde intellectuel européen. Devenu une autorité rabbinique respectée, fondateur de la première imprimerie juive d’Amsterdam, il put ainsi publier de nombreux ouvrages en hébreu, espagnol, portugais et latin ; il put également entretenir des relations avec nombre d’érudits et de théologiens à travers toute l’Europe, contribuant à faire de la capitale hollandaise un centre intellectuel de premier plan. Habile diplomate, il adresse en 1655 au dirigeant anglais Oliver Cromwell une sorte de pétition en forme de plaidoyer pour le convaincre de permettre le retour des Juifs dans son pays, d’où ils avaient été expulsés en 1290 : outre l’intérêt économique, il fait valoir avec succès au dirigeant anglais que la fin des temps ne pourra advenir qu’après la dispersion des Juifs sur toute la surface de la Terre. Comment ce grand pays du bout du monde, « terre d’angle » comme son nom l’indique, pouvait-il continuer à retarder cette fin du monde, tant attendue par les chrétiens comme par les Juifs ?

D’autres marranes célèbres, pris entre deux cultures antagonistes, eurent par contre les plus grandes difficultés à trouver leur place au sein d’une communauté soudée par une fidélité rigoureuse à l’enseignement traditionnel : le philosophe Baruch Spinoza, bien sûr, mais aussi Ouriel da Costa, personnage tourmenté à la destinée tragique. 

La grande et superbe synagogue portugaise témoigne, aujourd’hui encore, de la puissance et de l’opulence de cette communauté singulière, où le peintre Rembrandt a trouvé des modèles saisissants pour certaines de ses plus belles œuvres. Le Talmud Torah qui y était établi suscita l’admiration du Maharal de Prague ou du ‘Hida, pour l’efficacité de son enseignement et la qualité des méthodes pédagogiques qui y étaient mises en œuvre. Des maîtres réputés, tels le Hakham Tsevi Achkenazi, occupent le poste devenu prestigieux de rabbin de la ville.

Érudition, imprimeries florissantes, autorités rabbiniques de haut rang, œuvres de bienfaisance dispensant leurs bienfaits dans tout le monde juif, mais tout particulièrement auprès des indigents en Érets Israël, le rayonnement de la communauté juive d’Amsterdam demeura sans égal pendant deux siècles.

 

Puissance d’un réseau commercial 

Cette opulence et ce rayonnement, la communauté juive d’Amsterdam le dut particulièrement grâce à ses intenses activités financières et commerciales, entamées dès le XVIe siècle, à l’heure des grandes découvertes. C’était le temps de la montée en puissance de la Hollande, allant jusqu’à rivaliser avec l’Angleterre et l’Espagne pour la maîtrise des mers et l’exploration de nouveaux territoires aux richesses nombreuses et convoitées. Les grands commerçants et financiers juifs d’Amsterdam jouèrent un rôle de premier plan durant cet âge d’or de la puissance économique et politique hollandaise. On les trouvait en effet aux quatre coins du monde, tissant d’ingénieux et solides circuits d’import-export : en Afrique, au Proche-Orient, mais surtout en Amérique, en Inde et dans ce que l’on appelait alors les Indes orientales, c’est-à-dire l’Indonésie. En Amérique du Nord, une ville apparut bientôt sur la carte, symbole à la fois de l’emprise grandissante des Hollandais sur le nouveau continent et de la présence juive parmi eux : fondée en 1612, la New Amsterdam se développa jusqu’en 1667, avec la conquête britannique qui en fit la New York que nous connaissons…

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