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Exempté d’étoile jaune: le tabou

L’étoile jaune a largement contribué à la « Solution finale ». Ce « marquage » des Juifs français et étrangers, dès 6 ans, imposé dans tous les territoires occupés à compter du 7 juin 1942, est devenu LE symbole universel de l’antisémitisme. Pourtant, des exemptions seront accordées. Un privilège rare lié à des critères très précis. Aujourd’hui encore, un sujet tabou dans la conscience des communautés juives.
" Exempté d'étoile jaune " : le tabou

Après le tampon rouge « JUIF », instauré en octobre 1940 sur les papiers d’identité, « l’étoile juive » allait faciliter la chasse aux Juifs. Le « Magen David » — bouclier protecteur en hébreu — devenait une épée de Damoclès. Dans ce contexte, amplifié par la rafle du Vél’ d’Hiv’ des 16 et 17 juillet 1942, certains choisiront de ne pas porter « l’insigne » au risque d’être dénoncé, arrêté et déporté. D’autres réclameront une exemption.

Accordée par les seules autorités allemandes, elle reposait sur un cadre dérogatoire imprécis : « Lors de circonstances spéciales, dans l’intérêt du Reich, des dérogations à l’ordonnance peuvent être prévues dans des cas isolés[1]Centre de Documentation Juive Contemporaine-CDXXVIII-82 Huitième ordonnance allemande du 29 mai 1942. » Un dispositif discrétionnaire dans l’esprit de l’article 8 du Statut des Juifs du régime de Vichy, permettant à quelques coreligionnaires d’échapper aux mesures d’exclusion pour « services exceptionnels rendus à l’État français ».

Le Maréchal Pétain usera de cette « faveur » voulue par l’occupant pour en faire profiter des « relations amicales » restées en zone occupée. Le 12 juin 1942, il écrit à son ambassadeur à Paris Fernand de Brinon — concerné par les origines juives de son épouse, née Louise-Rachel Franck : « Mon attention vient d’être attirée à plusieurs reprises sur la situation douloureuse qui serait créée dans certains foyers français si la récente Ordonnance des Autorités d’Occupation, instituant le port d’un insigne spécial pour les Juifs, était appliquée sans qu’il soit possible d’obtenir des discriminations naturelles et nécessaires. [2]Archives Nationales F60 1485 du 12 juin 1942 »

En bas de page, en allemand, le chef de la Gestapo Karl Bömelburg indique que 100 demandes pourront être déposées. La liste devra être contresignée par le chef du Gouvernement, Pierre Laval, et transmise à Carl Oberg, chef supérieur de la SS, responsable de la Question juive depuis le 5 mai 1942[3]CDJC-XLIXa-90a du 16 juin 1942.

  • Le 3 juillet, le cabinet de Pétain transmettra seulement trois demandes concernant :
    La marquise Marie-Louise de Chasseloup-Laubat et sa sœur, la baronne Lucie Stern, épouse Girot de Langlade, filles du banquier Louis Stern. La famille Stern fait partie du premier cercle des relations de Pétain et son épouse. Le maréchal a été témoin de mariage des filles de la marquise, converties au catholicisme au début des années 1900.
  • La générale Billotte, née Catherine Nathan, veuve depuis 1940 de Gaston Billotte, proche de Joffre et Pétain, gouverneur militaire de Paris de 1937 à 1939

Le 13 juillet 1942, la comtesse Suzanne de Sauvan d’Aramon reçoit son attestation[4]CDJC-XXVA-172 du 13 juillet et 31 août 1942.

Cousine des sœurs Stern, elle est l’épouse de Bertrand de Sauvan d’Aramon, député de Paris, l’un des 569 parlementaires à voter les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940.

Le 25 août 1942, une note signée Heinz Röthke, chef du service juif de la SS de Paris, dresse une liste de 26 exemptions, accordées jusqu’au 31 août, avec prolongation possible de trois mois[5]CDJC-XXVa-164 du 25 août 1942.

L’épouse de Brinon y figure en tête. Louise-Rachel Franck était la cousine du journaliste Emmanuel Berl, le rédacteur des premiers discours de Pétain.

Suivent les trois demandes de Pétain. Huit autres exemptions sont accordées pour de « pressants motifs économiques » afin de maintenir l’activité de secteurs stratégiques.

Une exemption concerne Josef Hans Lazar, chef de la propagande allemande en Espagne. Sept exemptions sont accordées au contre-espionnage pour traquer les résistants. Six profiteront à des Juifs « travaillant avec la police anti-juive », indicateurs, dénonciateurs, notamment Maurice Lopatka[6]CDJC-XXVa-189 certificat du 24 juillet 1942. Responsable de l’arrestation de centaines de Juifs qu’il faisait chanter avant de les dénoncer, il sera fusillé à la Libération.

Au moins trois dérogations faciliteront l’action des marchands d’art — Allan et Emmanuel Loebl, Hugo Engel — contraints d’alimenter le pillage des collections organisé par le maréchal Göring[7]CDJC-XXVa-186 documents, du 10 août 1942 au 13 juillet 1943.

 

Refus et arrestations

La plupart des démarches individuelles essuieront des refus malgré de solides recommandations : ce sera le cas pour la veuve de Fernand Widal, de l’Académie de médecine. Sarah-Marcelle Ulmann avait le soutien du Pr Leriche, président de l’Ordre des médecins, et Pétain avait été le témoin de mariage du fils Widal, en 1936. Elle mourra six mois plus tard à 70 ans.

Même refus en mai 1943 à l’écrivaine Colette pour son mari Maurice Goudeket. Arrêté en 1941 dans la « rafle des notables », il échappera à la déportation grâce à l’intervention de Sacha Guitry et de Paul Morand auprès de Laval et restera caché jusqu’à la Libération.

Concernant les « Juifs » en mariage mixte, ils n’étaient pas obligés de porter l’étoile jaune si leurs enfants n’étaient pas reconnus comme Juifs[8]CDJC-XLIXa-11 du 9 mai 1942. Ce sera le cas de Marcel Lattès, compositeur de musiques de films et d’opérettes, père d’un enfant baptisé suite à son mariage en 1923 avec une normande catholique. Même situation pour Ida Seurat-Guitelman (Ndlr : tante de l’auteur), mariée à un catholique, policier — et résistant clandestin —, qui obtiendra l’appui de son « patron », Emile Hennequin, un des exécutants de la rafle du Vel’ d’Hiv’.

Ces « privilèges » n’empêcheront pas pour autant les arrestations.

Mme de Chasseloup-Laubat connaîtra la promiscuité de la prison des Tourelles pendant près d’un mois. Suzanne de Sauvan d’Aramon, arrêtée dans l’Aveyron en juin 1944, sera libérée in extremis de Drancy. Lattès, arrêté après une dispute avec un officier allemand sera dans le convoi n° 64 du 7 décembre 1943 pour Auschwitz. Lucie Stern, arrêtée le 3 janvier 1944, sera gazée à 61 ans, à l’arrivée du convoi n° 66.

Évoquer ces exemptions ravive forcément des plaies douloureuses dans les familles concernées. Ces « passe-droits », parfois associés à d’affreux chantages et accointances troubles, témoignent d’une incontestable transgression : un « quoi qu’il en coûte » pour sauver sa peau. Personne ne peut juger ces histoires individuelles complexes. Les faire remonter à la surface plus de quatre-vingts ans après n’a d’autre but que d’éviter la falsification de l’Histoire.

exemption accordée au compositeur Marcel Lattès
Exemption accordée au compositeur Marcel Lattès (Mémorial de la Shoah CDJC-XXVa-185)

Références

Références
1Centre de Documentation Juive Contemporaine-CDXXVIII-82 Huitième ordonnance allemande du 29 mai 1942
2Archives Nationales F60 1485 du 12 juin 1942
3CDJC-XLIXa-90a du 16 juin 1942
4CDJC-XXVA-172 du 13 juillet et 31 août 1942
5CDJC-XXVa-164 du 25 août 1942
6CDJC-XXVa-189 certificat du 24 juillet 1942
7CDJC-XXVa-186 documents, du 10 août 1942 au 13 juillet 1943
8CDJC-XLIXa-11 du 9 mai 1942

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