“Il n’y a que deux façons de vivre sa vie : l’une en faisant comme si rien n’était un miracle, l’autre en faisant comme si tout était un miracle.” Albert Einstein
Cette citation d’Einstein nous interpelle. Ce qui interpelle, c’est le « tout » et le « rien ». Cette affirmation catégorique et définitive, peut surprendre venant de cet esprit si raffiné, fervent combattant de la pensée binaire, qui favorise l’expérience sur la théorie.
Y a-t-il réellement que deux manières possibles de vivre, comme si tout était miracle ou au contraire en l’ignorant à chaque instant ?
Pouvons-nous passer d’une vision à l’autre, au cours de sa vie, suivant les circonstances et les rencontres ?
Est-il bien réaliste d’imaginer que l’on pourrait, sa vie durant, cheminer en s’émerveillant en permanence du miracle de la création ?
Même si nous le voulions, nous aurions la plus grande des peines à vivre chaque jour comme un miracle, car l’émerveillement est justement le fruit de ce qui est éphémère, qui nous rappelle que rien ne dure, que la vie est fragile et qu’il faut se dépêcher de s’émerveiller avant que tout ne tombe dans l’oubli.
L’homme, cet être de paradoxes qui ne valorise rien avec autant d’intensité que ce qu’il sait pouvoir perdre l’instant d’après.
Il chérit le plus la vie au moment où il sait qu’il va la perdre, se rendant compte à posteriori que son existence toute entière fut une série de miracles dont il ne prit pas totalement conscience.
Qui n’est jamais entré dans un hôpital en bénissant le ciel de ne pas être malade ?
Qui n’a jamais apprécié le souper du soir après avoir expérimenté le jeûne ?
Nous avons besoin du manque pour valoriser ce qui est. Nous avons besoin de la mort pour valoriser la vie. Nous avons besoin de la solitude pour valoriser le contact humain. Nous avons besoin d’oublier que tout est miracle pour nous rappeler que tout l’est.
L’homme qui oublie que tout est miracle est cet homme moderne, robotisé, habitué à sa puissance et à son contrôle sur les choses qu’il en oublie de s’inscrire dans l’instant présent. C’est un homme en prise avec les paradoxes, se prenant pour D.ieu vivant sans conscience sa propre finitude.
Dépassé par les prouesses de la science, si enthousiaste devant le génie technologique, cet homme moderne oublie le seul miracle: celui de sa respiration régulière. Pour lui, le miracle est sa création au quotidien, oubliant ce qui l’a précédé.
À l’inverse, l’autre homme, celui qui ne cesse de voir le miracle partout, n’est blasé de rien.
Pour lui, le bonheur est cette discipline difficile de tout instant qui consiste à apprécier ce qui est, sans penser à ce qui pourrait être. Cet homme-là vit dans l’instant présent,« ici et maintenant », en pleine conscience. Il est plus occupé à être qu’à faire, ne se laisse pas tourmenter par des projections dans l’avenir pour avoir confiance en la vie.
Sa confiance, il la donne sur le champ, car il est porté par la grâce de la nature et le sourire d’un nouveau-né.
L’écart entre ces deux hommes est-il si grand qu’il les sépare pour toujours ? Non, nous sommes tous l’un et l’autre à la fois. À certains moments de nos vies, dans des périodes d’éveil, de crises, qu’elles soient subies ou voulues, l’émerveillement s’invite.
On se lève un matin en étant ému de l’immensité du désert ou de la noblesse d’une chaîne de montagnes. Soudain, le café chaud que l’on boit à même le sol a un goût différent, et on se surprend à ne désirer rien de plus que ce que l’on a déjà.En y regardant de plus près, ce que nous souffle Albert Einstein, c’est ce vers quoi nous devons tendre. Si l’on peut être cet homme-là puis l’autre, quand le désespoir nous guette, il suffirait de changer notre regard sur le monde et notre manière « d’être au monde », tout simplement.
Dans le rituel juif, la prière du matin « Modé Ani » nous rappelle, au réveil, que chaque nouveau jour est une bénédiction, que nous devons le reconnaître et en être reconnaissant.Alors qu’on serait tenté d’oublier que respirer, être debout ou s’animer est un miracle, cette prière nous permet de nous concentrer sur l’ordinaire du quotidien et le transformer en miracle.
Cette attitude si juive face au monde qui nous entoure est aussi flagrante dans la fête de Hanouka.
Alors que nous nous apprêtons à allumer les bougies pendant huit jours consécutifs, Hanouka nous invite à observer le monde comme un miracle perpétuel.
Car le véritable miracle, au-delà de la fiole qui aura réussi à briller huit jours d’affilée dans un temple obscurci par les pillages, est notre capacité à voir l’évènement comme un miracle et à le retenir comme tel dans notre histoire.
Et si le miracle de la fiole de Hanouka était le fait de faire renaître la lumière et donc notre lumière intérieure, notre capacité d’émerveillement ?
Et si le miracle n’était pas ce que je vois mais comment je vois les choses ?
Et si c’était mon regard sur le monde qui le rendait beau, généreux et poétique ?
Et si ce n’était que mon attitude face au monde qui conditionnait mon devenir ?
Einstein a raison, il y a des pessimistes et des optimistes. Il y a des personnes qui pensent que la vie n’a aucun sens et d’autres qui la sentent emplie de sens. Il n’y a pas de vérité, pas d’absolu. La seule vérité, c’est notre volonté de voir le miracle, et donc, de le trouver.
Nathalie Ohana vient de sortir son premier livre »Réveiller ma mère » aux Éditions Frison-Roche