Si Marseille ne compte toujours pas aux rangs des destinations privilégiées pour le « tourisme juif », la cité méridionale pourrait à l’avenir le devenir à mesure que sa population prend conscience de son héritage et de ses spécificités, locales comme régionales. La cité phocéenne, dont l’histoire juive est a minima bimillénaire, peut en effet se targuer d’avoir accueilli une « communauté » dès l’Antiquité si l’on en croit la législation romaine en vigueur sous l’empereur Auguste et la trace dans les archives de migrations juives en provenance d’autres régions de la Gaule à partir du VIe siècle. Louée pour son « patriotisme » lors des invasions sarrasines deux siècles plus tard, la communauté juive de Marseille devait déjà compter 300 membres lors de la visite de la ville par le rabbin-explorateur Benjamin de Tudèle en 1165.
Ce voyageur, dont le Sefer Massaoth constitue une des principales sources littéraires pour la connaissance du monde juif médiéval, indique en effet l’existence, au XIIe siècle à Marseille, de plusieurs synagogues et même d’une yeshiva accueillant des « talmudistes de renom ».
De cette époque médiévale glorieuse, aucun vestige n’a été mis au jour pour étayer les chroniques qui évoquent pourtant des échanges fructueux entre Juifs et Chrétiens. Une interdiction de résidence en Provence après 1501 rendra encore plus discret leur séjour, s’il en fut. Probablement, des marchands itinérants continueront-ils de venir clandestinement écouler leurs marchandises dans le Midi. Mais toutes les tentatives pour recréer une communauté aux XVIe et XVIIe siècles se solderont par des échecs, malgré la présence avérée de quelques grandes fortunes internationales comme Joseph Vais Villaréal et Abraham Atias, qui bénéficient, sous Louis XIV, d’un statut spécifique en raison des bénéfices qu’ils rapportent à la couronne de France. Des oratoires situés rue du pont (1790-1808) puis rue Grignan — première moitié du XIXe — et du cimetière d’époque napoléonienne ne subsistent que de vagues témoignages dans les archives ainsi que dans la toponymie locale.
C’est d’ailleurs dans le secteur où l’on croise une « Traverse du cimetière des Juifs » que devait — en 1864, sous le Second Empire — être édifiée la grande synagogue de Marseille, rue Breteuil — 6e art. Construite en style romano-byzantin, sur le même modèle architectural que la basilique Notre Dame de la Garde et la cathédrale de La Major, la bâtisse — relativement discrète depuis la rue — est souvent considérée comme le plus ancien monument juif de la ville. C’est oublier que la « Maison diamantée », près du Vieux Port, a été bâtie au XVIe siècle pour un riche marchand catalan d’origine juive. Une signalétique le rappelle aujourd’hui de façon discrète à l’intérieur de l’édifice, dont l’accès est soumis à la bonne volonté du personnel de la Mairie qui y tient des bureaux.
Une escapade rapide, qui pourra se coupler dans la journée avec Aix-en-Provence, vous emmènera dans un second temps dans la ville de Trets, une bourgade médiévale qui conserve de son passé juif, outre un élégant « quartier réservé », une synagogue du XIIe siècle de style roman provençal. À deux pas de la célèbre Montagne Sainte-Victoire immortalisée par Paul Cézanne, le quartier juif ressemble à celui de Gérone, en Catalogne. Malgré les ravages du temps, trois arches d’entrée et plusieurs fenêtres en saillie subsistent encore du bâtiment que la mémoire collective a retenu, au fil des âges, comme étant l’« ancienne synagogue » du bourg. Ne connaissant aucun massacre — grâce à une étroite protection seigneuriale —, Trets resta perçue jusqu’au XVe siècle comme un refuge pour les Juifs.
À une demi-heure de là, en poussant plus à l’ouest, la visite d’Aix-en-Provence ravira les amoureux de patrimoine. Cité bourgeoise au bâti Renaissance d’exception, Aix maintient vivace la longue histoire juive locale grâce à de nombreux panneaux de signalisation. L’on pourra se prêter à un véritable jeu de piste dans les ruelles tortueuses du centre, où l’on croisera des toponymes rappelant le nom de la famille Bédarride, qui donna à la ville plusieurs maires au XIXe siècle, et des allusions à la communauté de l’époque médiévale — « anciano carriero de la Jutarie », ancien « ghetto » de la Juiverie en dialecte aixois, ou encore « carriero dou pous judieu », rue du puits juif. Les plus attentifs noteront, au détour d’une rue facilement accessible depuis la gare, la présence d’une plaque mémorielle sur l’actuel temple protestant rappelant que le lieu abrita une synagogue de 1836 à 1952, avant d’être vendue à l’Église Réformée de France, faute de minyan suffisant au sortir de la Shoah. Depuis, la communauté s’est régénérée, pouvant compter sur l’apport de centaines de familles séfarades en provenance d’Afrique du Nord.
En revenant vers Marseille, un détour s’imposera enfin au Site-Mémorial du Camp des Milles. Ouvert en 2012 sur le site du seul camp d’internement de déportation français encore intact en France, l’établissement culturel et pédagogique accueille chaque année plus de 100 000 visiteurs, dont une bonne moitié de scolaires en provenance de toute la région et de Paris. Antichambre des camps de la mort, c’est de cet endroit funeste que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants juifs partirent pour Auschwitz à l’été 1942. Reconnu monument historique par le ministère de la Culture, le lieu de mémoire des Milles, qui comprend trois volets — historique, mémoriel et réflexif — nourrit un double objectif : rendre hommage aux âmes assassinées et éduquer les jeunes générations à une plus grande tolérance.
Vous l’aurez compris, Marseille et sa région recèlent de nombreux trésors insoupçonnés. Alors, cet été, pensez à venir vous nourrir de vieilles pierres, de mémoire, au son des cigales, et peut-être aurez-vous la chance d’entendre, le Chabbat, un des derniers airs traditionnels de la région à la Grande Synagogue Breteuil !