La première saison de fouilles porte ses fruits. On y découvre une cité mono-période avec deux portes, chacune flanquée de deux postes de garde de chaque côté de l’entrée, qui est une disposition 2 x 2, caractéristique des cités cananéennes (âge du bronze final) ; mais les murailles fortifiées sont de type casemate, typiques de la période israélite (âge du fer).
Comment trancher ? Grâce aux ossements d’animaux trouvés sur place, de chèvre, bœuf et mouton, mais pas de porc : c’était donc une cité israélite. Cette analyse est confirmée par la découverte de deux autres éléments : un ostracon et des noyaux d’olives.
Un ostracon est un morceau de poterie avec une inscription. Ici, il s’agit de 5 lignes en hébreu ancien d’étrange calligraphie bizarre, car entre autres, la lettre aleph est disposée différemment dans les lignes (en bleu sur la photo). De plus, ces lignes sont séparées par des traits, comme pour guider quelqu’un qui apprend à écrire.
Photo : Ostracon et transcription (crédit: Khirbet Qeiyafa expédition, Univ. Hébraïque de Jérusalem)
L’inscription très énigmatique a été transcrite ainsi :
Tu ne feras pas […] : Adore l’E[ternel]
Juge […] Étern[e]l: Juge […]
[…] Maître […]
cul[pa]bilité et vengeance per[d]ra un Roi
anathème […] scies [?]
Ce texte est sous forme de prophétie biblique adressée à un roi, comme le mot Roi (mélekh en hébreu, en marron sur la photo) le laisse entendre. Grâce à une analyse Carbone 14, les noyaux d’olives ont permis de dater ce site entre 1050 et 970 avant notre ère, c’est-à-dire pendant la monarchie de David. Cette mesure, quoique sujette à caution comme tout usage du Carbone 14, a cependant été confortée par la découverte de quelque 500 poignées de jarres portant une marque distinctive : les rois de Judée marquaient plus tard de leur sceau leurs propriétés, mais il semble que cette pratique ait commencé avec David.
Les fouilles des années 2010 ont apporté d’autres découvertes surprenantes, notamment une sorte de sanctuaire portatif. Il est taillé dans la pierre (et non fait de terre cuite façonnée par l’homme) et son ouverture est faite avec un contour formé de 3 degrés. On trouve cette configuration dans le Temple de Salomon avec des linteaux à 3 degrés (I Rois 7:4). Cette façon existait déjà dans l’antiquité, par exemple sur la stèle du Code Hammourabi, pour signifier un temple ou un domaine royal. Car l’architecture est aussi un langage : toute personne devait comprendre, grâce à des éléments architecturaux, l’importance d’un lieu.
Photo : (crédit: Gabi Laron)
Du fait de la présence de deux portes dans cette cité, les archéologues ont pensé à Shaarayim, mentionnée dans la Bible, car ce nom signifie « deux portes ».
Dans Josué 15:36-37 sont énumérées des cités du territoire de Juda, dans l’ordre, Yarmout, Adoullam, Sokho, Azékah, Shaarayim. Seule Shaarayim n’était pas encore identifiée, quoique dans le même secteur géographique que les autres.
C’est le cas de Khirbet Qeiyafa.
Dans I Chroniques 4:31-32, il est écrit : « Beth-Marcabot, Haçar-Soussim, Beth-Bireï et Shaarayim. Telles furent leurs villes jusqu’au règne de David ».
Shaarayim était bien contemporaine de David mais elle n’est plus mentionnée dans la Bible après son règne ! Cela semble expliquer que le site soit mono-période, car abandonné par la suite.
Le règne de David est un passage entre deux périodes, entre la fin du bronze final et le début de l’âge du fer. Lorsqu’il accède au pouvoir, il met un terme au joug des Philistins (II Samuel 5:17-19). Ayant abouti à une période de paix, il cherche à établir une monarchie stable et reconnue. Il fonde sa capitale à Jérusalem. Il y fait monter le Tabernacle et instaure un culte avec les Lévites. Il fait fortifier ses cités en empruntant au modèle défensif cananéen, mais introduit des nouveautés comme la muraille à casemate.
Au temps de David, la vallée d’Elah formait la frontière sud du royaume. Les garnisons de ce secteur pouvaient donner l’alerte en cas d’incursion des Philistins. On peut croire que Khirbet Qeiyafa revêtait un caractère affectif pour David, car c’est de cette colline qu’il serait descendu dans la vallée pour triompher de Goliath, ce qui lui assura la renommée. Après sa mort, Salomon étend le royaume au nord et au sud grâce à des alliances. Les Philistins, déjà grandement affaiblis, ne formaient plus une menace. Garder la vallée n’avait plus de nécessité. Khirbet Qeiyafa fut probablement détruite lors de la campagne du pharaon Shoshenq au temps de Roboam (I Rois 14:25).
L’importance de Khirbet Qeiyafa repose dans le fait que le site commence au règne de David lorsqu’une nouvelle puissance régionale est en train de s’établir dans la région, avec son roi, son sceau, son culte, son architecture, voire son écriture. Le site nous offre une fenêtre sur cette transformation qui voit naître un État israélite fort pour la première fois, il y a près de 3 000 ans.
Photo : (Crédit : Albert Benhamou )