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L’histoire méconnue et tragique des juifs de Libye

La législation raciale mise en place par l’Italie fasciste dans sa colonie africaine n’eut jamais les conséquences funestes de celle de l’Allemagne nazie. Pourtant, des Juifs libyens ont bien été opprimés, discriminés, et pour certains, sont morts dans des camps de concentration en Europe, au cours de la Shoah. Alors, comment l’expliquer ?
L'histoire méconnue et tragique des juifs de Libye

 

 

Ostracisés sous Mussolini

33 000 Juifs vivent en Libye à la fin des années 1930. Le gouverneur italien de la Libye, Italo Balbo, protège la communauté juive de la colonie qu’il administre à partir de 1934, de sorte que les lois antisémites promulguées en Italie après 1938 [1]La législation discriminatoire limite, en Italie, les droits juridiques des Juifs : droit à l’instruction et au travail, exclusion sociale, sur le modèle des Lois de Nuremberg promulguées en … Continue reading

n’ont d’abord qu’un impact limité de l’autre côté de la Méditerranée. Pragmatique, Italo Balbo – qui fit pourtant partie des quatre leaders à ouvrir la Marche sur Rome en 1922 – indique à Mussolini que les Juifs libyens sont au cœur de l’économie du territoire : 80 % des boutiquiers de Tripoli sont alors juifs. Ces derniers octroient facilement des crédits et leur rôle est déterminant comme clients du système bancaire. Beaucoup de municipalités comptent par ailleurs sur le fonctionnariat juif, et la participation des plus pauvres d’entre eux à l’industrie des cigares et cigarettes – un monopole d’Etat – est jugée primordiale. Italo Balbo, qui considère ces derniers comme une main d’œuvre fiable et responsable, recommande à Rome une application souple de la législation antisémite. Dans ce contexte, Mussolini propose qu’en Libye seuls les agents non-indispensables soient renvoyés des postes à responsabilité. Cette souplesse n’empêchera néanmoins pas un déferlement de haine dans la presse locale, et parmi la populace arabe [2]La renaissance de l’identité arabo-islamique qui se fait jour depuis le début du XXe siècle soutient l’idée que les Juifs sont étrangers à la culture et l’économie locales, notamment en … Continue reading comme italienne. 

 

Les Juifs de Libye dans la guerre 

Les Juifs de Libye, bien que ne servant pas dans les armées italiennes (dont ils sont désormais exclus), sont eux aussi frappés par la guerre et subissent les bombardements des villes de la côte. A Tripoli, où se concentrent les trois quarts de la communauté, quatre synagogues sont rasées par les bombes tandis que d’autres sont rendues inutilisables. Nombreux sont ceux qui fuient alors les agglomérations pour trouver un habitat rudimentaire à la campagne. En leur absence, magasins et habitations sont pillés. Les enfants, exclus depuis 1938 des écoles publiques, sont scolarisés dans des institutions éducatives juives rudimentaires, où une activité sioniste se poursuit de façon clandestine. Cet enseignement sera dispensé de façon régulière jusqu’au début des déportations et du travail obligatoire en 1942. 

 

L’arrivée des Allemands en Afrique du Nord

L’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Allemagne le 10 juin 1940 et la mort du gouverneur Balbo, dont l’avion est abattu par mégarde par la DCA italienne de Tobrouk, provoquent un net changement dans la politique à l’égard des Juifs de Libye. Tous les étrangers qui se trouvent sur le sol italien ou dans les colonies – des Juifs réfugiés pour la plupart – sont enfermés dans des camps d’internement ou bien assignés à résidence au cours de l’hiver 1940-1941, en raison notamment de l’arrivée des Anglais en Cyrénaïque depuis l’Egypte voisine. Le 12 février 1941, un corps allemand appelé Afrika Korps débarque à Tripoli pour soutenir l’effort italien en Afrique du Nord. Près de 23 000 Juifs vivent alors dans la ville. 

L’aide et les manifestations de joie parmi les Juifs de Tripolitaine, après plusieurs victoires britanniques, provoquent une détérioration des relations entre la communauté et les autorités italiennes, ainsi qu’avec la population européenne locale. Rapidement, Rome décide la création de camps d’internement pour les Juifs de Libye, dans la banlieue de Tripoli, voire, plus au sud, dans la région désertique du Fezzan. Peinant à nourrir l’ensemble des prisonniers, l’Italie décide bientôt l’expulsion des Juifs de nationalité française vers la Tunisie et le transfert des « Juifs britanniques » dans des camps d’internement en Italie, où croupissent déjà des milliers de « Juifs d’Italie d’origine étrangère ».

 

En juin 1942, le travail obligatoire est finalement imposé à tous les Juifs de Libye âgés de 18 à 45 ans, un mois seulement après leurs coreligionnaires d’Italie. A Buq Buq, près de la frontière égyptienne, les conditions de travail sont effroyables. La nourriture et l’eau font défaut, sous une chaleur torride. Et lorsque les troupes germano-italiennes battent en retraite fin 1942 après la victoire britannique d’El-Alamein, les prisonniers sont abandonnés dans le désert. Au même moment, le transfert des Juifs de Benghazi (3500 avant 1939) – accusés de collusion avec les Alliés – vers les camps de Yefren et de Giado, dans le Djebel Nefoussa, a des conséquences dramatiques. Un demi-millier de Juifs y meurent du typhus et de mauvais traitements infligés par les soldats fascistes. 

 

La déportation de Juifs de Libye dans des camps en Italie

Les Juifs d’origine britannique – pour la plupart originaires de Gibraltar – sont traités, après janvier 1942, comme des ennemis de guerre. Escortés par des carabiniers jusqu’au port de Tripoli, plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants sont enfermés dans les cales de navires en partance pour Naples, Brindisi et Tarente. Etroitement surveillés par la police italienne dans leurs lieux d’internement, ils vont vivre une vingtaine de mois dans la misère et l’inquiétude, répartis entre les Abruzzes, la Toscane, les Marches et l’Emilie-Romagne. 

 

La déportation vers les camps de concentration nazis

A l’été 1943, un putsch contre la dictature de Benito Mussolini, qui permet au roi d’Italie Victor-Emmanuel II de sortir son pays de l’alliance avec l’Allemagne, conduit au déploiement des armées du IIIe Reich dans le nord et le centre de la botte. Alors que le sud est progressivement libéré par les Alliés qui ont récemment débarqué en Sicile, la partie septentrionale, devient à la fois l’alliée et l’otage des nazis. Dès septembre, arrestations et déportations se succèdent. Le camp d’internement de Fossoli, entre Modène et Mantoue, où sont enfermés des Juifs de Libye, devient l’antichambre de la mort pour des milliers d’Italiens. Le 26 janvier 1944, un convoi de Juifs libyens le quitte pour le camp de Bergen-Belsen, dans le nord de l’Allemagne. Deux autres suivront, les 19 février et 16 mai de la même année. Le choix de ce camp n’est pas anodin : alors que les Juifs italiens sont déportés vers Auschwitz, où le taux de mortalité explose à l’hiver et au printemps 1944, ceux détenteurs d’un passeport britannique bénéficient d’un répit octroyé par leur statut de « monnaie d’échange ». Les nazis ont en effet prévu de troquer certaines catégories de Juifs comme « otages » contre des citoyens allemands retenus par les Alliés. Il en sera ainsi de même pour des centaines de Juifs espagnols, portugais, turcs, américains ou encore hongrois. 

 

Epilogue 

Si les Juifs libyens déportés en Italie ont ainsi souffert des tourments des camps italiens et allemands (faim, froid, violence…), la majorité a néanmoins échappé à la mort en raison d’un statut spécifique. Echangés, les « Anglo-Libyens » furent recueillis par la Croix-Rouge et souvent libérés avant la fin des hostilités. Un premier groupe put ainsi retrouver sa terre en novembre 1944, via la France, l’Espagne, le Portugal, le Maroc et l’Algérie, après deux ans et demi d’« absence ». Les derniers à rentrer chez eux arriveront en juillet 1945, après un long périple à travers l’Allemagne et l’Italie. Ces derniers auront passé plus de trois ans et demi loin des leurs.

Références

Références
1La législation discriminatoire limite, en Italie, les droits juridiques des Juifs : droit à l’instruction et au travail, exclusion sociale, sur le modèle des Lois de Nuremberg promulguées en Allemagne en 1935.
2La renaissance de l’identité arabo-islamique qui se fait jour depuis le début du XXe siècle soutient l’idée que les Juifs sont étrangers à la culture et l’économie locales, notamment en raison de l’européisation d’une partie d’entre eux.

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