Fortuites ou organisées, les découvertes d’objets sur les lieux de la Shoah renouvellent ces dernières années la connaissance du génocide juif et permettent de répondre à une question vieille de deux décennies déjà : comment maintenir vivace la mémoire de la Shoah, à l’heure où les derniers témoins du génocide disparaissent ?
Il y a quelques semaines encore, une cache d’artefacts liturgiques et d’objets du quotidien ayant appartenu à des victimes juives du nazisme a été mise au jour à Lodz, à proximité directe du mur d’enceinte de l’ancien ghetto.
Les archéologues, dépêchés sur place pour examiner et dater les reliques, ont rapidement établi qu’il s’agissait d’un trésor déposé là par des personnes contraintes de rejoindre l’enclave imposée par l’occupant et qui espéraient sans doute récupérer ultérieurement leurs biens.
Le fait que le dépôt soit toujours au même endroit près de 90 ans après les faits suggère que les propriétaires n’ont pas survécu à la guerre et permet de combler un pan d’histoire familiale, autant que d’illustrer – par des exemples précis – un événement souvent perçu de façon globalisante.
L’archéologie de la Seconde Guerre mondiale pourrait donc, à l’heure où disparaissent les derniers témoins, devenir un enjeu mémoriel.
Les découvertes réalisées lors de campagnes de fouilles menées sur le site de l’ancien camp d’extermination de Sobibor, dans l’est de la Pologne, ont ces dernières années permis de rendre un nom à des centaines de déportés, souvent disparus sans laisser de traces.
Le fait que des familles entières aient été décimées n’a en effet pas toujours permis d’établir le destin de chaque Juif présent en Europe de l’Est avant-guerre.
L’archéologie de la Shoah rend ainsi un nom, et parfois un visage à une victime (lorsqu’une photographie peut être associée à une gourmette, un pendentif ou un objet nominatif…).
Les technologies les plus poussées sont désormais mises à profit pour retracer les dernières heures de ceux qui furent gazés dans une entreprise d’extermination aussi sordide que secrète.
A l’aide de cartes anciennes et d’un géoradar, les experts ont pu déterminer l’emplacement exact des anciennes chambres à gaz et exhumer, à leur emplacement d’origine, des effets personnels, parfois tombés lors du déshabillage des victimes, parfois simplement dissimulés dans l’espoir de laisser une trace de leur passage en ces lieux.
A la suite des archéologues, l’histoire intervient pour combler les manques éventuels et replacer les objets et restes humains dans leur contexte.
A la manière d’enquêteurs, les historiens de la Shoah, assistés d’experts (en balistique, en géologie, en médecine…) remontent la piste du crime.
L’identité des victimes est confirmée par des pendentifs rédigés en hébreu, un lieu de naissance inscrit sur une gourmette permet de déterminer l’origine d’un convoi, sa date d’arrivée…
En soi, un simple artefact permet de raviver l’histoire oubliée de milliers d’innocents assassinés.
Depuis 1986, des fouilles sur les anciens sites de mise à mort ont ainsi été entreprises un peu partout en Pologne, et depuis une quinzaine d’années, également en ex-Union soviétique.
Dans ces régions d’Europe orientale, la Shoah par balles a anéanti des communautés entières sans laisser de traces apparentes, autres que les pièces matérielles relevées par les archéologues et les souvenirs glanés à travers les campagnes environnantes par les équipes du prêtre catholique Patrick Desbois, dont le travail de mémoire est désormais médiatisé et connu du grand public.
Ces artefacts, des objets de la vie quotidienne, mais aussi des pièces liées à l’industrie de la mort, ont aujourd’hui plusieurs vocations : d’abord lutter contre le négationnisme, en apportant des preuves matérielles de ce que les nazis, eux-mêmes, ont cherché à faire disparaître.
En démantelant les camps, en nivelant les sols, en les reboisant, et en brûlant les corps de leurs victimes – parfois sortis des fosses communes où ils avaient dans un premier temps été enfouis – les criminels ont cherché à oblitérer de façon définitive l’existence et le devenir des martyrs du génocide juif.
Un deuxième enjeu peut être qualifié de conservatoire : il vise désormais à sauver du pillage les objets encore présents dans le sol, pour préserver le souvenir, tout en prévenant les profanations – malheureusement fréquentes depuis 1945 – de ces immenses nécropoles.
Un troisième objectif enfin, est d’offrir un lieu de recueillement et de compréhension aux générations qui arrivent, à l’heure où les derniers témoins du génocide disparaissent. L’enjeu, ici, est donc à la fois mémoriel et patrimonial.
Mais les démarches des experts sont parfois contradictoires, regrette l’archéologue néerlandais Ivar Schute, chargé des fouilles dans l’ancien camp d’extermination de Sobibor, localisé dans le sud-est de la Pologne.
Certains aménagements pour accueillir les visiteurs modifient en effet la configuration des sites et menacent aujourd’hui de compromettre l’exactitude des découvertes ultérieures.
Aussi, à Sobibor, les archéologues ont-ils proposé un emplacement alternatif pour construire le musée, initialement prévu à l’endroit-même où les victimes étaient rassemblées et déshabillées avant leur extermination.
A ceux enfin qui regrettent que ces fouilles ne dérangent le sommeil des morts et enfreignent la Halakhah (qui interdit le déplacement des restes d’un défunt autrement que pour être réinhumé en Terre sainte), les chercheurs Vincent Charpentier et Boris Valentin, interrogés il y a quelques années, répondaient qu’il s’agit – en rendant un nom aux victimes de la Shoah – de lutter symboliquement contre les assassins de la mémoire, d’hier comme d’aujourd’hui.
Comme disait, dans son roman La Nuit (1956), le célèbre écrivain rescapé d’Auschwitz Elie Wiesel, « Oublier les morts serait les tuer une deuxième fois ».
Cependant cette réponse ne clôt pas le débat ‘’hilkhatique’’, celui de la conformité avec la loi juive, qui lui, prouve que le peuple juif est toujours bel et bien vivant.