fbpx
Rechercher
Les plus populaires

Le Dhimmi : Le statut des minorités non musulmanes en terre d’Islam

Le jour se lève à Kobé…

Ombres sur Notre-Dame

Toupie or not toupie, telle est la question !

Lettre à un ami juif

1934, Constantine : un pogrom en terre d’Islam

Dans le port d’Amsterdam…

De la rivière à la mer, Palestine ?

Les universités sous emprise

Ethroguim, des fruits sacrés aux racines anciennes

Partager

Le jour se lève à Kobé…

Nous sommes le mardi 30 septembre 1941. Alors que le monde juif s'apprête à entrer dans la sainte journée de Kippour, des milliers de Juifs, dans le grand port de Kobe au Japon, hésitent encore : quand commence donc le jour de Kippour, dès ce soir ou demain soir ? Mais comment ces Juifs en sont-ils venus à se poser une telle question ? C’est ce que nous découvrirons ensemble dans l’enquête qui suit : « Mais où donc naît le jour ? »
Le jour se lève

La controverse du Chabbat de Kobe 

En 1939, à la veille de la grande conflagration mondiale, le protocole secret du pacte de non-agression Ribbentrop-Molotov permet à l’Allemagne nazie et à la Russie communiste de se partager la Pologne et les autres pays baltes. La ville polonaise de Mir, où étudient des milliers d’étudiants de Torah, se retrouve sous domination russe. La célèbre yéchiva de Mir se réfugie à Vilna, appartenant alors à la Lituanie. Grâce au consul japonais Sujihara, « juste des nations », prêt à mettre sa carrière en danger en leur signant des visas de transit par le Japon, plus de 5 000 Juifs arrivent à échapper aux griffes des nazis et prennent le Transsibérien récemment inauguré. Il les emmène à travers les étendues sibériennes jusqu’à Vladivostok, puis jusqu’à Kobe, au Japon.

Mais là, au-delà des difficultés d’acclimatation, une question les taraude : en ce point extrême de l’Orient, quand tombe exactement le Chabbat ? Le samedi, bien sûr, me direz-vous ! Mais les choses ne sont peut-être pas si simples, comme nous le verrons plus loin. S’il est encore possible, dans le doute, de respecter deux jours de Chabbat hebdomadaires, la question devient bien plus grave encore quand arrive Kippour : peut-on physiquement et, pour commencer, est-on tenu de jeûner dans le doute cinquante heures d’affilée ? C’est ce que l’on appellera la controverse du Chabbat de Kobe.

 

Le tour du monde de Magellan

Pour mieux la comprendre, je vous invite à faire un petit tour du monde. Au XVIe siècle, Magellan se lance dans sa désormais célèbre circumnavigation. Mais, après trois ans de tour du monde, lorsque les matelots de la Victoria sont enfin de retour en Espagne, une surprise étonnante les attend : on est jeudi à Séville alors que, d’après le journal de bord parfaitement tenu à jour du capitaine Elcano (Magellan est mort au combat en 1521 dans les Philippines), on devrait être mercredi ! Le chroniqueur du voyage, Antonio Pigafetta, témoigne de l’étonnement ressenti devant la disparition d’une journée entière, mais il l’explique par la rotondité et la rotation du globe terrestre. En effet, si la terre tourne d’ouest en est, le soleil se lève plus tôt dans les pays situés à l’est. Pour gérer ces différences, le monde est divisé en fuseaux horaires, dont chacun représente une heure de différence. Si l’on voyage vers l’ouest comme l’a fait l’expédition de Magellan, on “suit” le soleil, ce qui donne l’impression que la journée s’allonge. 

 

Au final, on finit par “gagner” une journée entière. Cette curiosité est le ressort dramatique, excusez le spoiler, qui sauvera le flegmatique globe-trotter Phileas Fogg, héros du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne, et lui permettra de remporter son pari en gagnant un jour grâce à ce même phénomène. L’idée est d’ailleurs officiellement empruntée à Edgar Allan Poe, qui l’utilise dans sa Semaine des trois dimanches.

En regardant simplement les fuseaux horaires, le problème saute aux yeux. Au douzième fuseau horaire vers l’ouest, il est douze heures plus tôt. Mais, en regardant dans l’autre sens, au douzième fuseau horaire vers l’est, il est douze heures plus tard. Un même point du globe aurait donc deux horaires différents de 24 heures de différence ! Il est, en conséquence, nécessaire de fixer une ligne qui définirait, quelque part sur le globe, le début conceptuel de l’ouest et la fin de l’ouest. Autrement dit : où commence le jour !

 

Lors de la conférence internationale de Washington, en 1884, les plus grandes puissances du monde, dont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, élisent la ligne de Greenwich, en Angleterre, comme méridien universel de référence, dont la longitude est définie comme égale à 0°. L’adoption du méridien standard international induit obligatoirement un antiméridien, situé à 180°, à l’opposé. C’est donc par pur hasard que la ligne de changement de jour se trouve au milieu de l’océan Pacifique, dans une région quasi inhabitée du monde. Cette ligne imaginaire indique l’endroit où il est nécessaire de changer de date lorsqu’on la traverse. En pratique, cette ligne est parfois discontinue, comme dans la République des Kiribati, centrée sur les îles Gilbert, qui est à cheval sur la ligne de changement de date. Les activités tant gouvernementales que commerciales ne pouvaient être simultanément menées, de part et d’autre de la ligne, que les quatre jours par semaine communs aux deux côtés ! La ligne de changement de date s’est donc déplacée vers l’est pour contourner le pays tout entier.

 

La ligne de changement de date dans le Talmud et le Zohar

Si la ligne de début du jour est une ligne imaginaire fixée par un consensus humain, il n’est pas évident qu’elle puisse définir un statut halakhique comme l’entrée du Chabbat ou du jeûne de Kippour.

Dans nos sources, il y a déjà près de vingt siècles (!), le Zohar décrit le monde comme un globe tournant sur lui-même et qui est donc illuminé de façon alternative par le soleil. Il décrit même une partie du globe qui, à certaines périodes de l’année, se trouve constamment éclairée (la zone avoisinant le pôle) avec des nuits extrêmement courtes…

Rabbi Yehouda Halévy, dans son Kouzari, puis Rabbi Zera’hia Halévy, dans son Sefer ha-Maor, se fondent sur un texte du Talmud pour expliquer que le centre du monde se situe à Jérusalem1 ; la ligne du changement de date passe alors à 90 degrés à l’est de Jérusalem et à 270 degrés à l’ouest. Cette position est soutenue par de nombreux auteurs médiévaux, comme Rabbenou Nissim ou Rabbi Avraham Ha-Nassi. Rabbi David Ibn Zimra défendra lui aussi cette position, en soulignant que le Chabbat est un signe personnel reliant D.ieu et son peuple : le jour du Chabbat peut, en conséquence, dépendre de l’endroit où l’on se trouve.

Dans une réponse dramatique aux Juifs de Kobe, le ‘Hazon Ich y ajoutera que cette ligne ne peut partager un continent. Il est en effet impensable que des Juifs de deux villes voisines fassent Chabbat selon des jours différents. Tout continent dont une partie se trouve dans les 90 degrés de Jérusalem respectera donc le Chabbat le même jour que Jérusalem. Il en ira de même en Russie, en Corée et jusqu’en Australie. Le Japon, par contre, est une île située de l’autre côté de la ligne et doit respecter son Chabbat le dimanche.

Cependant, d’autres autorités rabbiniques placent la ligne exactement à 180 degrés de Jérusalem. Le Japon se trouverait donc encore du bon côté de la ligne, qui passe selon eux au large de l’Australie et traverse l’Alaska.

Enfin, une dernière opinion s’appuie sur l’absence de débat, à ce sujet, dans le Talmud ou dans le Choul’han ´Aroukh, pour recommander de fêter le Chabbat le jour du samedi, tel qu’il apparaît dans les calendriers locaux.

 

Kippour au Japon

Trois semaines avant Kippour 1941, un télégramme urgent arriva à Jérusalem, demandant aux plus grandes autorités de l’époque de statuer sur le cas de Kippour à Kobe au Japon, pour les milliers de Juifs qui s’y trouvaient réfugiés. Une semaine avant le jeûne, le Rav Herzog, grand rabbin ashkénaze d’Erets Israël, réunit 14 des plus grandes autorités du pays, dont le Rav Ouziel, grand rabbin séfarade, le Rav Tsvi Pessa’h Franck, grand rabbin de Jérusalem, Rav Chlomo Zalman Auerbach, et d’autres, pour prendre une décision à ce sujet. Trois jours avant le jeûne, la réponse arriva à Kobe : il fallait jeûner le mercredi 10 Tichri, jour de Kippour habituel, mais se nourrir par quantités minimales le lendemain, 11 Tichri, pour prendre en compte la possibilité que Kippour tombe en fait ce jour-là. 

De son côté, le ‘Hazon Ich trancha différemment, comme nous l’avons vu, et son télégramme stipula explicitement de jeûner le lendemain, le jeudi, soit le 11 Tichri au Japon. La solution de jeûner les deux jours était dangereuse, voire problématique, car manger la veille de Kippour est une grande mitswa.

Finalement, la majorité des Juifs jeûnèrent le mercredi, et certains eurent malgré tout le courage de jeûner cinquante heures d’affilée !

La question se résolut d’elle-même, quelques mois plus tard, lorsque le Japon, poussé par les Allemands, décida de déporter ces encombrants réfugiés vers Chang-Haï : là les attendait, de façon providentielle, une immense synagogue désaffectée, la synagogue Beith Aharon, qui correspondait exactement à leurs besoins. Mais ceci est une tout autre et très belle histoire… Au passage, le problème du Chabbat se trouva résolu, car Chang-Haï se trouve d’après toutes les opinions du bon côté de la ligne, celui où le Chabbat est célébré le jour du samedi à Jérusalem.

 

Repenser le temps 

Pourtant, aujourd’hui encore, toute personne qui voyage au Japon est confrontée à cette question halakhique, qui implique de respecter le Chabbat le samedi, mais de s’abstenir aussi de tout travail interdit par la Torah le dimanche, tout en mettant les téfilines comme un jour de semaine !

Cette question a encore de nombreuses conséquences en dehors du jour de Chabbat et des fêtes. Quelqu’un qui aurait déjà prié ou accompli une mitswa, comme manger de la matsa le soir du Séder de Pessa’h, doit-il, s’il repasse la ligne, accomplir à nouveau cette mitswa, car c’est pour lui une nouvelle fête de Pessa’h qui commence ? Celui qui aura allumé trois bougies de Hanouka en l’honneur du troisième jour de la fête, mais traverse ensuite la ligne et se retrouve donc la veille, doit-il allumer à nouveau trois bougies ou bien quatre, pour faire suite à son précédent allumage ? 

Nous vivons dans un système à quatre dimensions qui dépend du temps. Mais cette ligne du jour nous ouvre une fenêtre étonnante vers un monde où le temps peut être quelque chose de relatif, qu’il nous est donné de définir : léger avant-goût d’une relativité dont Einstein disait si bien que « le temps et l’espace ne sont pas des conditions d’existence, mais des modèles de réflexion ». Il appartiendra toujours à l’homme de ne pas être esclave du temps mais, au contraire, de transformer le temps qui passe en moments d’éternité.

 

Rabbenou Zera‘hia Halevy, dans son Sefer ha-Maor, se fonde sur un texte du Talmud tiré du traité de Roch ha-Chana. À l’époque où le nouveau mois était fixé en fonction de la vision de la nouvelle lune, le premier jour de l’année, Roch ha-Chana, était aussi le premier jour du mois de Tichri : on ne le proclamait qu’après acceptation du témoignage de témoins visuels de l’apparition de la nouvelle lune. Or le Talmud établit que si le Molad (instant où la lune est entièrement obscure à nos yeux) de Tichri s’observe dans l’après-midi, on ne pourra décréter Roch ha-Chana avant le lendemain.

 

Selon le Sefer ha-Maor, cette règle se fonde sur une raison précise : le Molad, ainsi que la nouvelle lune, doivent tous deux être visibles au moins à un endroit du globe dans une même journée. Or, il s’écoule, en un lieu donné, au moins vingt-quatre heures entre le Molad et la nouvelle lune. Par conséquent, si ce Molad (qui se produit au même instant sur le globe tout entier) se manifeste avant midi à Jérusalem, il y aura forcément un endroit dans le monde où la nuit de Roch ha-Chana commencera après lui et d’où on pourra voir la nouvelle lune avant la fin de la journée. Mais si le Molad a lieu en après-midi à Jérusalem, il est alors impossible que la nouvelle lune soit vue avant la fin du jour en quelques points du globe.

 

Il y a donc lieu de se poser la question : en quel endroit observera-t-on « le coucher du soleil le plus tardif » ?

Selon le Sefer ha-Maor, celui-ci se situe à l’extrême ouest, à 270 degrés à l’ouest de Jérusalem, soit 18 heures après celui de Jérusalem. Plus loin, ceci n’est pas considéré comme l’ouest, mais le début de l’est et, par conséquent, le coucher du soleil est celui du jour précédent.

 

Ainsi, lorsque le Molad a lieu juste avant midi à Jérusalem, à l’extrême ouest, on pourra voir le Molad un instant après le coucher du soleil et la nouvelle lune un instant avant le coucher du soleil suivant, et on pourra proclamer cette journée comme Roch ha-Chana.

La ligne de changement de date se situe donc, selon cette opinion, à 90 degrés à l’est et 270 degrés à l’ouest de Jérusalem. Ce point permet de voir la lune un instant avant le coucher du soleil le jour de Roch ha-Chana, alors que le Molad aura été vu à Jérusalem avant midi.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Partager

A découvrir également sur Yedia

Whatsapp Yedia

Ne manquez plus aucun contenu sur Yedia en rejoignant notre groupe Whatsapp. Une diffusion quotidienne.

Newsletter Yedia

Vous souhaitez recevoir la newsletter mensuelle de Yedia avec l’ensemble des articles, podcasts, et vidéos du site. Inscrivez-vous ici sans plus attendre.

Facebook Yedia

Ne manquez plus aucun contenu sur Yedia en rejoignant notre communauté Instagram.

Youtube Yedia

Ne manquez plus aucun contenu sur Yedia en rejoignant notre groupe Whatsapp. Une diffusion quotidienne.

Spotify Yedia

Retrouvez tous nos podcasts sur Spotify.  Il suffit de vous abonner à notre chaîne pour les écouter directement.

Yedia est un média dédié au Judaïsme, à sa culture, son patrimoine, et à son identité. Grâce aux contributions de ses auteurs et producteurs de contenus, issus de tous horizons, il se veut le témoin de sa richesse, et de sa diversité.

Art et culture, langue et écriture, société, histoire, sciences, lifestyle, judaïsme, sont les thématiques qui traversent Yedia.
Articles, podcasts, vidéos, sont disponibles sur la plateforme et permettent à tous à tout moment de pouvoir accéder au contenu.
Enfin Yedia se veut ancré dans l’époque dont il est issu, voire même dans le futur. Une partie des contenus sont consultables dans un metaverse accessible depuis le site Yedia.
Dans un monde dans lequel le savoir se dilue plus rapidement que l’ignorance, nous pensons que la connaissance est faite pour être partagée…au plus grand nombre, à tous, sans distinction.

Partager sans distinguer, et distinguer la connaissance de la croyance, afin de la faire comprendre, simplement et au plus grand nombre.
Sans partage, il n’y a pas de lumière.


Et ce qui n’est pas éclairé, reste dans l’obscurité.

Newsletter

Abonnez vous à la Newsletter de Yedia

Il vous suffit de remplir le formulaire ci-dessous.

En savoir plus sur Yedia.org

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture