Rue de la Barralerie, dans l’ancienne artère principale du quartier juif médiéval du fief seigneurial des Guilhem (fin XIe-début XIIIe siècle), apparaît à cinq mètres sous la chaussée, accessible par un escalier étroit, le célèbre « mikveh de Montpellier ».
Dans les faits, il s’agit en réalité d’un espace composite, tels que l’on en trouvera, à la fin du Moyen Âge, un peu plus à l’est, à Cavaillon et Carpentras, pour rester dans le Midi de la France.
D’après des sources historiques, les vestiges retrouvés à Montpellier auraient regroupé une synagogue, une maison d’aumône (domus helemosine dans les archives), une maison d’étude (yeshivah) ; et surtout, un bain rituel (mikveh), qui attire aujourd’hui des visiteurs du monde entier.
Le mikveh, qui constitue le bien le plus exceptionnel de cette Schola Judeorum, a pu être daté de la fin du XIIe siècle, ce qui en ferait l’un des plus anciens d’Europe, avec ceux de Syracuse, Cologne ou encore Spire…
Re-découvert fortuitement au début des années 1980 à l’occasion de fouilles dans la cave à charbon d’un hôtel particulier du XVIIIe siècle, le site a somptueusement été restauré par le maire, Georges Frêche, à l’occasion des célébrations du millénaire de Montpellier en 1985.
Préservé dans son écrin, le complexe a été aménagé — comme tous les bains rituels de la même époque — à proximité immédiate d’une source d’eau souterraine, constamment renouvelée pour répondre aux exigences de la Loi juive, imposant de recourir à des eaux vives pour réaliser la purification du corps à l’issue des menstrues pour les femmes, et à la veille du chabbat et des fêtes religieuses pour les hommes pieux.
Comme surgi des tréfonds de l’histoire, apparaissent devant le visiteur privilégié — dans la pénombre de ce souterrain — la salle de déshabillage, un bassin d’immersion, accompagné de ses quinze marches et de sa délicate fenêtre géminée à colonnette et décor végétal, caractéristiques du style roman.
Le mikveh a par ailleurs conservé de son état d’origine son élévation, ses murs, ainsi que sa voûte en plein centre.
Ailleurs en France, ces bassins rituels ont presque tous disparu ou ont souvent fait l’objet de modifications comme à Strasbourg, où une ouverture zénithale a probablement modifié l’usage du mikveh après son « abandon » lors de l’expulsion définitive des Juifs à la fin du XIVe siècle.
D’éminents « visiteurs »
Si la première mention de Juifs à Montpellier ne remonte qu’à 1121, il convient de noter que la ville jouit, à la fin du XIIe siècle, d’un renom certain.
En 1165, lorsque le célèbre rabbin-voyageur Benjamin de Tudèle visite la ville, il signale déjà, dans son Sefer massa’oth, la présence de plusieurs centres d’études talmudiques majeurs (Bateï midrashoth kvou’oth leTalmud).
La cité médiévale fondée au Xe siècle accueille en effet à cette période de nombreux spécialistes en sciences des écoles juives de médecine et d’astronomie de la ville voisine de Lunel.
En provenance de cette dernière, une célèbre dynastie de rabbins traducteurs, les Tibbonides, s’installent à Montpellier au XIIIe siècle.
Initialement originaires d’Andalousie, ils vont marquer l’âge d’or du judaïsme languedocien, en donnant au monde ashkénaze accès aux grands textes de la littérature sépharade, ceux de Sa’adia Gaon, de Bahya ibn Paqouda et Judah Halévi, mais aussi et surtout le Guide des Egarés du Rambam (Maïmonide).
Lorsque l’on foule les marches du mikveh médiéval de Montpellier, c’est ainsi tout un imaginaire spirituel qui s’anime et on se figure, à notre place, quelques-uns des grands maîtres du judaïsme médiéval : Judah ben Moshe ibn Tibbon (rabbin de Montpellier au XIIIe siècle), son cousin Jacob ben Makhir (Profacius), et avant eux, Rabbi Jonathan ben David HaCohen de Lunel (v. 1136-apr. 1210), qui aurait vécu à Montpellier jusqu’en 1194, avant de s’installer à Lunel, où il devait devenir l’un des commentateurs les plus réputés du Talmud.
Abandonné à la fin du XIVe siècle, lors de l’expulsion générale des Juifs de France, le mikveh de Montpellier est aujourd’hui au cœur de toutes les attentions.
Classé « Monument historique » depuis 2004, le site, qui continue de faire l’objet d’investigations archéologiques, accueille « l’Espace culturel hébraïque », où est basé, depuis 2016, une plate-forme de rencontre des trois monothéismes, sous le nom d’« Institut universitaire Maïmonide – Averroès – Thomas d’Aquin ».
Ouvert toute l’année aux visiteurs (certains jours de la semaine ou sur demande auprès de l’Office du tourisme local), ainsi que lors des Journées du Patrimoine, le mikveh est devenu, ces dernières années, l’une des principales attractions de la ville qui a souhaité, en 2008, offrir aux passants sept vitrines didactiques qui relatent l’histoire des Juifs du Midi.
Une réponse
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