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L’histoire perdue des juifs du Burgenland

A la lisière des actuelles Hongrie, Slovaquie et Slovénie, la région autrichienne du Burgenland était, avant la Première Guerre mondiale, un des poumons du judaïsme orthodoxe en Europe centrale. Depuis 1945, la région n’accueille plus de Juifs et son patrimoine a sombré dans un relatif oubli.
L'histoire perdue des juifs du Burgenland

Les premières documentations fiables d’une présence juive dans le Burgenland remontent au bas Moyen Age.

Parmi les nombreuses « villes juives » répertoriées dans la région à l’Epoque moderne, « Sept communautés » (Eisenstadt, Mattersdorf, Lackenbach, Deutschkreutz, Kobersdorf, Frauenkirchen et Kittsee), connues sous le nom de Sheva Kehillos, ont particulièrement marqué l’histoire. 

 

Une communauté préservée des tourments

Le nombre de Juifs augmente de façon régulière dans le Burgenland entre le XVIIe et le XIXe siècle, pour atteindre par endroit un tiers, voire la moitié de la population locale.

Grâce à la protection offerte par une famille de châtelains hongrois, les Esterházy, les Juifs vivent dans la région sans subir les massacres et intimidations de leurs voisins chrétiens, comme cela s’observe à la même période plus à l’est. 

Après l’émancipation des Juifs d’Autriche-Hongrie en 1867, la région devient l’un des lieux d’affrontement entre le judaïsme orthodoxe  et les partisans d’une intégration du judaïsme dans la nation, à l’heure où les universités s’ouvrent aux « Israélites ». 

 

Une région marquée par de grandes figures rabbiniques

Jouissant d’une large autonomie grâce aux privilèges accordés par les seigneurs de la région, les communautés juives du Burgenland élaborent leurs propres taqqanoth (statuts juridiques) pour réglementer, suivant la Halakhah, les différents aspects de la vie individuelle et communautaire.

Chaque rabbin disposant de sa propre yeshivah, les minhagim (coutumes locales) y prennent en conséquence un poids important. Parmi les personnalités qui se dégagent aux XVIIIe et XIXe siècles figurent l’auteur du Panim mé’iroth, Me’ir ben Yitsḥak Eisenstadt (rabbin d’Eisenstadt entre 1717 et 1744), le leader du judaïsme européen, Rabbi Akiva Eiger (1761-1837) – natif de cette même ville –, ou encore son gendre, le « ‘Hatam Sofer » (rabbin de Mattersdorf entre 1798 et 1806), appelé à devenir le « Rav de Presbourg » (1806-1839).

Celui dont la tombe, à Bratislava en Slovaquie, est chaque année visitée par des légions de pèlerins, reste célébré dans tout le monde orthodoxe pour avoir dirigé une sévère contre-attaque face à la Haskalah – les « Lumières juives » –, qui encourage après les années 1770 ses coreligionnaires à rejoindre les villes pour s’assimiler.

De fait, la création d’« écoles allemandes », rendues obligatoires pour tous en 1783, a conduit à une intégration progressive des Juifs dans la culture germanique, de sorte que de nombreux jeunes partent étudier à Vienne et Berlin. 

Après l’Anschluss en mars 1938, les nazis adoptent une politique d’émigration forcée. 

Ceux parmi les quelque 3 800 Juifs du Burgenland qui n’ont pas trouvé le moyen de quitter l’Autriche sont déportés vers l’Europe de l’Est et assassinés. Au début du XXIe siècle, à peine une douzaine de Juifs vivaient encore dans le Burgenland. 

 

Un patrimoine mémorable méconnu 

L’étape la plus incontournable est indéniablement Eisenstadt, la capitale actuelle du Burgenland. Localisée à une soixantaine de kilomètres de Vienne, la ville – connue jusqu’en 1921 sous son nom hongrois de « Kismarton » – offre à voir un ancien ghetto juif, digne d’un décor de cinéma.

A l’étage de l’ancien hôtel particulier du rabbin et Juif de cour Samson Wertheimer (1658-1724) se dévoile une splendide synagogue privée aux intérieurs baroque, miraculeusement préservés.

Il n’en fut pas de même de la grande synagogue locale, détruite lors de la Nuit de Cristal, ni du cimetière juif plusieurs fois centenaire, vandalisé par la populace, mais aujourd’hui remis en état et rendu accessible aux visites.

Le petit musée local (ouvert en 1972) sera évidemment d’un grand secours pour débuter la découverte du patrimoine juif de la région. 

De là, une descente plus au sud guidera vos pas sur les traces des Juifs de Mattersdorf (auj. Mattersburg), au rang desquels l’éminent rabbin Jérémiah Mattersdorf (né Rosenbaum, m. 1805), le rosh yeshivah des sages ashkénazes Sim’ha Bounim de Peschischa/Przysucha (orthodoxie) et Aaron Chorin (réforme hongroise ou « néologie »).

Pour se remémorer l’histoire multiséculaire de leur village, les exilés ont fondé, en 1963 en Israël, Kiryat Mattersdorf, un quartier ‘harédi de Jérusalem. 

Enfin, un détour s’imposera à Kobersdorf, encore plus au sud, pour aller visiter la seule synagogue monumentale « épargnée» par les nazis après novembre 1938.

Bâtie en style néo-roman, elle a récemment fait l’objet d’un plan de rénovation de trois années et a rouvert aux visiteurs l’an dernier. Depuis lors, la synagogue de Kobersdorf est utilisée comme un centre éducatif axé sur la culture et l’histoire juives.

Lors de sa ré-inauguration en avril 2022, les autorités fédérales ont souligné la nécessité de raviver le souvenir des victimes juives du Burgenland et indiqué leur souci de faire connaître leur histoire et leurs traditions. 

 


Crédit photo : Emmanuel Attyasse

Cimetière juif de Mattersdorf (auj. Mattersburg). Vandalisées par les nazis et réduites en morceaux. Les tombes d’origine ont été remplacées après-guerre par des stèles identiques frappées d’une étoile de David. Les débris de « matzevoth » retrouvés à travers la ville ces dernières décennies sont aujourd’hui exposées sur un mémorial au centre de la nécropole.

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