Comme il est loin le temps où l’imprimerie Be’eri faisait la Une du Globes, avec une succes story rare dans l’histoire des kibboutzim israéliens. Le média économique rapportait ainsi, en 2018, que le kibboutz, fort de sa puissante imprimerie et d’autres activités agricoles prospères, s’apprêtait à distribuer 250 000 shekels à chacun des membres de la collectivité — soit un total de 150 millions de shekels.
C’était avant qu’elle ne devienne célèbre pour des raisons plus tragiques. Avant la catastrophe qui transforma Be’eri, havre de paix, en un podium de l’horreur absolue.
L’horreur, on la connaît — et il faudra la rappeler en chaque circonstance afin de couper l’herbe sous le pied aux négationnistes en tous genres —, l’incursion de hordes sauvages qui pénètrent dans les petits paradis construits sur le pourtour de la bande de Gaza le 7 octobre. Dans le seul kibboutz Be’eri, qui compte 1 200 personnes, 87 — chiffres non définitifs — sont assassinées, 29 prises en otage et deux disparues. Au total, ce jour-là, les localités juives pacifiques frontalières de Gaza verront 1 200 personnes, bébés, enfants, femmes, personnes âgées, hommes, torturés et assassinés de sang-froid, parce qu’Israéliens, parce que Juifs.
Alors que les ruines, la cendre et la peine ont remplacé la vie, la présence de l’imprimerie Be’eri Printers, intacte dans ce chaos, interpelle. Son histoire, qui se confond avec celle du kibboutz, est légendaire.
Lorsque Levi Zrodinski — Zorea — fit son Aliyah en Terre d’Israël depuis l’Ukraine en 1925, il n’aurait pas pu imaginer que sa vision et son initiative donneraient naissance à un kibboutz du Néguev qui abriterait au fil du temps l’une des imprimeries les plus avancées au monde. Sioniste enthousiaste, entrepreneur et industriel, Levi s’installe à son arrivée à Haïfa. Il y ouvre une imprimerie prospère. Son fils, Lazar Zorea, est de la même trempe. Idéaliste et audacieux, il fait partie du groupe de pionniers qui fonde les « 11 points », lors d’une opération clandestine lancée immédiatement après Yom Kippour, le 6 octobre 1946 : 11 localités destinées à renforcer la population juive du Néguev. Parmi elles, le kibboutz Be’eri.Les membres du jeune kibboutz recherchent une source de revenus stable pour assurer la sécurité économique de la communauté naissante située juste à la frontière entre Israël et Gaza. Zorea, qui avait été témoin du succès de l’imprimerie de son père, travaille d’arrache-pied avec trois autres membres pour fonder la première imprimerie dans le désert du Néguev. Une idée bien peu conventionnelle au sein du puissant mouvement kibboutzique. Aidé et encouragé par son père, soutenu par l’Agence Juive, Lazar et ses amis finissent par convaincre. Yigal Zorea, le fils de Lazar, raconte que tout a commencé à partir de presque rien : « Au début, la presse n’était qu’une maison en pierres abandonnée avec une machine à imprimer, un compositeur dont les lettres en plomb étaient achetées à rabais et une modeste relieuse. Au début, ils ont imprimé quelques formulaires et documents des nouvelles institutions de l’État. »
Jeune, Yigal a travaillé comme typographe au sein de l’imprimerie fondée par son père, avant de travailler au sein du verger, considéré comme plus « prestigieux ». Après son service militaire, il a poursuivi la tradition familiale et, après avoir appris le graphisme à l’Académie Betzalel, il a rejoint l’imprimerie, où il a travaillé pendant 50 ans, dirigeant la transition de la conception manuelle à la conception informatique en tant que Designer senior.Vétéran de la guerre de Kippour, Yigal, son épouse, son fils, sa belle-fille et leurs deux enfants sont restés enfermés de 6 h 30 du matin à 23 h 00, le 7 octobre, et ont miraculeusement échappé aux bourreaux.
Au fil des années, les membres de Be’eri n’ont jamais cessé de développer de nouvelles idées et moyens d’améliorer et d’augmenter la gamme de services fournis par l’imprimerie, qui est devenue un moyen de subsistance central pour les habitants de la région frontalière de Gaza. Son importance s’est aussi étendue bien au-delà. L’entreprise est ainsi devenue l’imprimerie d’Israël. Vous ne le savez peut-être pas, mais les machines d’impression de Be’eri font partie intégrante de la vie quotidienne de tous les citoyens israéliens : toutes les cartes de crédit et permis de conduire y sont imprimés, ainsi que les enveloppes envoyées par les banques et les institutions officielles de l’État. C’est d’ailleurs à Be’eri que la ma’atafit — lettre imprimée sur l’enveloppe elle-même — a été inventée. Cette innovation a permis d’économiser d’énormes quantités de papier.
L’imprimerie emploie 150 membres du kibboutz et 250 autres membres des kibboutz et villages environnants, et son usine d’emballage en carton à Yavné compte 150 salariés.
Une fierté locale, miraculeusement épargnée par la barbarie sanguinaire le 7 octobre dernier. Alors, faisant appel à un profond courage et tel un défi lancé aux destructeurs, les ouvriers sont retournés à l’usine. « Du samedi — jour du massacre — au mardi, nous avons pleuré. Ensuite, nous avons commencé à penser à l’avenir. »Le directeur, Ben Suchman, 47 ans, enfermé de longues heures avec sa famille dans son abri et dont la mère a été assassinée, l’a affirmé lors de la visite du président Herzog, présent pour la réouverture de l’imprimerie. « Beaucoup de nos concitoyens et des soldats de Tsahal ont donné leur vie sur les terres de Be’eri la semaine dernière. Nous veillerons à ce que leur mort ne soit pas vaine. Nous sommes ici et nous resterons ici. Voici notre message à l’État et à l’armée : « Nous ferons notre travail, vous ferez le vôtre. » »
« Chaque âme juive est chère à son Créateur. » En voici une illustration.