« La valeur n’attend pas le nombre des années » avait, en son temps, affirmé le dramaturge français Corneille. Mordechaï Anielewicz n’était pas « une âme bien née » mais son courage en fit un modèle de vertu, d’abnégation pour les premières générations de Sionistes après la Shoah. Il est mort, les armes à la main, le 8 mai 1943, lors de la révolte du ghetto de Varsovie. Aujourd’hui largement oublié, son nom mérite d’être rappelé. Hommage.
Né en 1919 à Wyszków, près de Varsovie, dans une famille ouvrière pauvre, Mordechaï Anielewicz est membre de l’organisation sioniste et de gauche Hashomer Hatzaïr lorsque la Pologne se retrouve envahie, puis annexée, par l’Allemagne nazie. Avec ses camarades, il entre en résistance, organisant des immigrations illégales de Juifs vers la Palestine mandataire depuis la Lituanie occupée, participant à des publications clandestines, rencontrant les leaders d’autres mouvements partout en Pologne. Informé des crimes de masse commis à l’Est par les unités mobiles d’Einsatzgruppen et leurs auxiliaires locaux, il décide de franchir un nouveau cap et coordonne bientôt des groupes d’autodéfense à l’intérieur du ghetto de Varsovie. Il agit contre l’avis des anciens du Judenrat, chargé par les autorités allemandes d’assurer l’ordre dans l’enclave et malgré le refus des forces polonaises (l’AK) de s’associer au combat des Juifs.
Un leader jeune, mais si charismatique
A l’été 1942, les départs, même clandestins, vers la Terre sainte, ne sont plus à l’ordre du jour. Les nazis ne cachent plus leur dessein : avec la déportation en masse des enfants et des vieillards, nul n’est dupe sur la destinée de ceux qui quittent désormais le ghetto par dizaines de milliers chaque mois. Des rumeurs arrivent également des camps : « les femmes avec des enfants, les bébés, les handicapés… sont assassinés par le gaz à leur arrivée… Leurs corps sont brûlés… ». Un nom revient souvent, « Treblinka ». Les 60 000 Juifs toujours enfermés dans le ghetto (ils étaient plus de 400 000 quelques mois plus tôt encore !) comprennent désormais que la mort de tous est imminente.
A l’automne, la résistance armée se structure. Fondée le 28 juillet, elle prend le nom de ŻOB (Żydowska Organizacja Bojowa ou Organisation juive de combat) et se retrouve sous le commandement de Mordechaï Anielewicz, alors âgé de 23 ans. Tel un officier, il ne laisse rien au hasard et se montre d’une grande fermeté face à ceux qui doutent ou entament le moral des troupes. Il lance la construction de bunkers, missionnent ses meilleurs hommes pour se procurer des armes hors du ghetto et insiste sur la discipline pour offrir une chance de survie aux 500 hommes et femmes qui l’accompagnent dans un combat à mort.
La première déroute… nazie
Le 18 janvier 1943, les Allemands lancent une Aktion d’envergure. Convaincue qu’il s’agit du début de la déportation finale, la résistance du ghetto – à laquelle s’est jointe une seconde organisation de défense issue du Betar (le ŻZV) – ordonne à ses unités de combat de riposter par les armes. Face à ce soulèvement inattendu de pauvres hères armés de pistolets et de grenades artisanales, les policiers et soldats de la Wehrmacht entrés dans l’enclave juive renoncent et suspendent temporairement l’opération. C’est une première victoire pour Anielewicz qui coordonne la riposte.
Désormais, la majorité de la population se prépare à résister massivement. Mourir, oui, mais les armes à la main. Ce cri du désespoir d’un peuple qui se sait condamné inspirera, quelques années plus tard, en mai 1948, les soldats de la Haganah, contraints de se battre face à des armées en surnombre envoyées par l’ensemble des pays arabes dans le but de reproduire le génocide nazi avorté.
« Révoltez-vous contre la réalité »
Pour Mordechaï Anielewicz, la lutte contre l’oppresseur n’est pas une vaine utopie. Elle doit prouver au monde que les Juifs sont fiers et déterminés. Leurs modèles sont les Macchabées, mais aussi les Zélotes, deux groupes de combattants juifs antiques qui s’opposèrent aux Grecs, puis aux Romains. Pour Mordechaï Anielewicz, la lutte contre l’oppresseur n’est pas une vaine utopie. Elle doit prouver au monde que les Juifs sont fiers et déterminés. Leurs modèles sont les Macchabées, mais aussi les Zélotes, deux groupes de combattants juifs antiques qui s’opposèrent aux Grecs, puis aux Romains.
La dernière marche
Le 19 avril 1943, les nazis entrent en masse dans le ghetto pour le « liquider » sur ordre de Berlin. Pendant trois semaines, la ŻOB va lutter, pied à pied, bâtiment après bâtiment, contraignant les nazis à recourir à toujours plus de renforts. 2 000 soldats et auxiliaires slaves, dotés de canons, de chars et de lance-flammes, se lancent dans une guérilla urbaine, qui déroute le commandement allemand et inquiète Berlin.
Trois semaines entières seront nécessaires aux forces allemandes pour mettre un terme à la révolte. Le ghetto est un champ de ruines. Dans les décombres, Mordechaï Anielewicz et son lieutenant Marek Edelman sont traqués par les chiens et la SS. Le 8 mai, jour du Shabbat, le quartier général de la ŻOB est finalement gazé, puis détruit. Anielewicz meurt lors des combats.
Dans sa dernière lettre adressée à Yitzhak Zuckermann (1915-1981), un de ses premiers soutiens, Mordechaï Anielewicz écrira :
« Que la paix soit avec vous mon cher ami. Qui sait si nous nous reverrons ? Le rêve de ma vie est maintenant réalisé : l’autodéfense juive dans le ghetto est désormais un fait accompli […] J’ai été témoin de la lutte magnifique et héroïque des combattants juifs. »
Mordechaï Anielewicz a été incarné à l’écran par Hank Azaria dans le film “1943, l’ultime révolte” (Uprising en V.O.) sorti en 2001.