Pour la Torah, tous les peuples modernes sont nés en Mésopotamie, dans une région qui s’appelait Sinar. Ils formaient d’abord de simples familles qui, ensuite, ont grandi pour devenir des tribus, puis enfin de véritables embryons de peuples.
Arrivés à un certain stade de leur maturation, malgré leur désir de rester réunis et l’épisode de Babel, ils se dispersèrent comme dans un grand Big Bang humain aux quatre coins du monde.
Cette origine commune pourrait venir expliquer les ressemblances linguistiques que l’on observe entre nombre de peuples aujourd’hui, très éloignés géographiquement pourtant les uns des autres, mais aussi et surtout, elle viendrait lever le voile sur les similitudes de traditions que l’on peut constater d’un coin à l’autre de la planète.
Ainsi, on peut trouver presque à l’identique le souvenir d’un déluge dans la culture chinoise, comme dans la mythologie grecque.
De même chez les Aborigènes d’Australie, la dimension qu’ils appellent « Le temps du rêve », qui pour eux précède et englobe notre univers, a des consonances quasi kabbalistiques.
On peut également retrouver partout dans le monde, et même dans les tribus les plus reculées d’Amazonie, l’interdiction de l’inceste, au point que Levy Strauss la considère comme la base de toute civilisation.
Pour la Torah, la raison de toutes ces similitudes est simple.
Tous les peuples modernes viennent d’une même racine qui les réunit. Ils sont tous père, fils, frère ou cousin au sein d’une même et grande famille née en Mésopotamie. Leur arbre généalogique se trouve dans la Genèse, à la fin de la Paracha de Noé.
Dessinons-le ensemble.
Ce que nous avons là devant nous ne serait ni plus ni moins que l’ADN de notre humanité moderne et qui s’est constitué en Mésopotamie
Aussi étonnante que la chose puisse paraître, elle n’est pas si différente de la formation d’un arbre à partir d’une graine, ou d’un humain à partir d’une cellule souche.
Elle va à l’encontre de l’idée de peuples champignons qui aurait grandi ça et là sur la planète, mais elle vient en revanche corroborer l’intuition de nombreux ethno-linguistes d’une possible origine commune.
Dans cette liste ancienne de plus de 3 200 ans, nous pouvons reconnaître quelques noms : Yavan, racine des Grecs, Mitsraïm, racine des Égyptiens, Aram racine des Araméens, Canaan, racine des Cananéens, Ever, ancêtre d’Abraham et des Hébreux !
Cet arbre se divise clairement en trois grandes branches, Chem, Ham et Yafeth, qui elles-mêmes se subdivisent en nombre de ramifications.
Elles sont 26 chez Chem, 30 chez Ham, 14 chez Yafeth. Au total 70.
Ce sont les racines des 70 nations que l’on retrouve tout au long des textes bibliques et qui sont à la base de nos nations modernes.
Au départ, nous l’avons dit, il ne s’agissait que de familles qui ont grandi pour devenir des tribus.
Mais par quel miracle une tribu devient-elle un peuple ? À la fin de l’énumération des membres de chaque groupe — Chem, Ham et Yafeth — revient à peu de chose près la même formulation :
« Voici les enfants de Chem (de Ham, de Yafeth) selon leurs familles, selon leurs langues, dans leurs terres, dans leurs peuples » (Gen. 10:31)
Voilà, clairement énoncés, les critères qui, pour la Torah, définissent un peuple : la famille, à savoir une origine commune ; la langue, un support de communication particulier ; la terre, une unité territoriale.
Le quatrième et dernier critère semble à première vue, sinon une la palissade, au moins une énorme tautologie : celui d’être… un « peuple » !
Comme cela arrive souvent, les traductions courantes sont parfois approximatives et souvent réductrices.
La Thora, dans le texte original, appelle ce dernier critère, « Goy » — « Selon leur goy ».
Or, le véritable mot pour dire « peuple » est le mot « Am » — « עם » —, qui a la même racine que « Im », qui signifie « avec ». Former un peuple, c’est exister « avec ». De notre dimension particulière, on en arrive à notre dimension plurielle.
Il existe un autre mot, « Léoum », qui vient désigner un peuple dans sa forme politique et gouvernementale. Il se rapproche de très près de notre concept de nation. Une nation, comme on le sait, peut parfois être composée de plusieurs peuples réunis.
Le mot « goy » quant à lui — même si aujourd’hui, on lui a donné l’acception limitée de ne désigner que les non-Juifs — désigne un peuple dans son aspect culturel et religieux. Le peuple juif est également appelé « Goy » : « Goy Kadoch », consacré au Créateur.
Toutes ces nuances sont révélées par le Sforno, immense commentateur et grammairien italien du 17e siècle et ce, à propos de Rebecca, notre matriarche (Genèse 25:23).
Elle portait des enfants jumeaux et pourtant antagonistes, Jacob et Ésaü. Étant frères et jumeaux de surcroît, ils appartenaient au même peuple, au même Am. On lui annonça cependant qu’ils allaient former « deux Léoumim » et « deux goyim », à savoir deux nations aux gouvernements et aux cultures bien distincts.
Voilà donc bien définis les critères requis pour la Torah, pour s’appeler un peuple, il faut donc : une origine commune ; une langue originale ; une terre particulière ; une culture qui lui est propre.
Nous retrouvons ici les mêmes critères exactement que ceux utilisés par la plupart des grands courants de l’ethnologie moderne.
Ils s’appuient sur la définition donnée par le grand historien grec Hérodote (l’Histoire, 8.144.2).
Pour être un peuple, il faut, comme pour la Torah : une même origine, qu’Hérodote appelle le sang ; une langue commune ; une culture commune.
Ce qui est intéressant, c’est que l’on n’y reprend pas le critère de la terre. Est-ce pour mieux conquérir son voisin ? Ou bien encore, est-ce le reflet de la dichotomie entre le physique et le mental, très courante en Occident ?
Il est vrai, cependant, que les peuples ont longtemps été en mouvement lors de leur dispersion, avant de se stabiliser sur leurs terres définitives.
Ce formidable mouvement nous est écrit dans un enseignement transmis par le Gaon de Vilna dans le Livre des Chroniques. Mis par écrit au Ve siècle avant notre ère par Ezra et la Grande Assemblée, il reprend toutes les généalogies de la Torah et avec elles, bien entendu, la fameuse liste des 70 nations. En marge, on trouve un commentaire transmis par le Gaon de Vilna et qui va éclairer notre recherche.
« Voici les enfants de Noé : Chem, Ham et Yafeth. Cet ordre n’est ni suivant leur naissance ni suivant leur sagesse, mais suivant l’ordre de leur répartition.
Et l’on considère la chose à partir de la droite : Chem, a pris le tiers Est, qui est l’Asie ; Ham et Yafeth ont partagé la partie ouest en deux : Ham, a pris la partie sud, qui est l’Afrique, et Yafeth la partie nord, qui est l’Europe. » Gaon de Vilna, Livre des Chroniques (1:3).
Voilà une formidable découverte s’il en est. Elle est la clé de notre recherche.
Car la Thora n’est pas un livre d’histoire. Il se devait d’exister un enseignement qui décrypte au présent cette liste transmise fidèlement pour nous depuis plus de 3 000 ans.
Elle nous enseigne que les 26 peuples de Chem sont allés peupler l’Asie, les 30 peuples de Ham l’Afrique et les 14 peuples de Yafeth l’Europe.
Nous remarquons au passage que n’est pas mentionnée l’Amérique, et ce, non pas parce qu’au temps du Gaon de Vilna, au XVIIIe siècle, elle n’était pas découverte, mais tout simplement parce qu’elle n’a pas une identité propre et qu’elle est une projection des peuples d’Europe et d’Afrique.
Traduisons tout cela sur une carte. Pour cela, nous allons prendre pour centre le point de dispersion, Babel, duquel il est écrit « Viafoutsou » — « ils sont entrés en expansion ». De là a commencé le Big Bang des peuples.
Les vestiges de l’ancienne Babel se trouvent exactement à une latitude de 32 degrés Nord et à une longitude de 44 degrés Est.
À partir de là, nous allons tirer des lignes qui vont séparer le monde en trois cadrans et appliquer aussi fidèlement que possible l’enseignement du Livre des Chroniques.
Voici ce que nous obtenons :
Nous nous apercevons que ces lignes ne correspondent pas parfaitement aux continents géographiques.
Ainsi, la ligne qui délimite le monde de Yafeth, l’Europe ethnique, vient couper le nord du continent africain laissant à supposer que se trouvent là un peuple européen.
Et de fait, cela pourrait expliquer le physique très clair et très européanisé des Berbères.
On a longtemps cru qu’ils descendaient de Barbares venus du Nord, d’où leur nom ; mais à dire vrai, les vestiges archéologiques et l’histoire montrent qu’ils précédaient de longtemps les invasions barbares des IVe et Ve siècles. S’ils sont bien Européens, qui sont-ils dans la liste de la Thora ?
De mêmes à l’ouest de l’Afrique, la ligne de Babel vient isoler Madagascar de l’Afrique ethnique, à laquelle elle est souvent associée, pour la faire basculer vers le monde de Chem, l’Asie.
Et de fait, l’ethnologie est formelle : les Malgaches, bien que très voisins de l’Afrique, sont dans leur quasi-totalité originaires du Sud-Est asiatique, distant de plusieurs milliers de kilomètres. À qui sont-ils affiliés ?
Pour répondre à ces questions, il nous faudrait une clé, une grille de lecture nous permettant de décrypter notre liste et de projeter les peuples qu’elle mentionne dans notre réalité géopolitique.
Cette grille de lecture existe bien et c’est dans également dans le Livre des Chroniques que nous allons la trouver. Nous essayerons de l’expliquer dans un prochain article.
David Barham est l’auteur du livre ORIGINES, Editions Armagan
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