L’hébreu est la langue écrite de la Torah et la langue parlée des premiers hommes. Ne dit-on pas qu’Au commencement, D.ieu a créé… le Verbe et donc l’hébreu ? Selon le Midrash, il remonterait même à Adam car celui-ci a nommé les animaux[1]Genèse 2:20, et aussi la femme isha comme le féminin de l’homme ish[2]Genèse 2:23. Cette corrélation entre les deux mots fait comprendre qu’Adam parlait hébreu[3]Béréshit Rabbah 18:4. Par la suite, Adam nomme sa femme Eve (חוה), car elle (חוא) est la mère de tous les vivants (חי)[4]Genèse 3:20 : en hébreu, les deux lettres vav et yod sont interchangeables. Et, jusqu’à l’épisode de la tour de Babel, toute la terre parlait cette même langue[5]Genèse 11:1.
L’hébreu n’a pas changé depuis Adam. Les visiteurs qui se rendent au Sanctuaire du Livre à Jérusalem peuvent voir le grand rouleau d’Isaïe écrit dans la même langue que l’hébreu d’aujourd’hui. Autrement dit, un écolier israélien peut lire ce rouleau datant de plus de 2000 ans. Est-ce qu’un écolier français peut lire le français médiéval, voire le gaulois s’il en existait des textes ?
Il est bien connu que les Sumériens ont inventé l’écriture et, avec elle, l’Histoire a commencé. Les écritures anciennes étaient faites de pictogrammes, notamment le cunéiforme et les hiéroglyphes. Et aussi le chinois actuel qui nécessite un dictionnaire avec des milliers de symboles différents, chacun correspondant à un mot. Mais, quand la Torah écrite a été donnée au mont Sinaï, l’alphabet est apparu. Qu’est-ce qu’un alphabet ? Un petit nombre de symboles, par exemple 22 lettres pour l’hébreu, avec lesquels on peut bâtir tous les mots.
Pendant des siècles, on a cru que les Phéniciens avaient inventé l’alphabet car Hérodote avait écrit :
Les Phéniciens qui accompagnèrent Cadmus, et dont faisaient partie les Géphyréens, introduisirent pendant leur séjour en Grèce divers articles de science, et entre autres choses, des lettres que, à ce que je crois, les Grecs ne connaissaient pas auparavant[6]Hérodote, Histoires, Livre V – Terpsichore, section LVII.
Mais la plus ancienne inscription phénicienne est celle trouvée sur le sarcophage d’Hiram datant de l’époque de son alliance avec le roi Salomon à qui D.ieu avait transmis la « sagesse »[7]I Rois 3:9-12.
Or, depuis quelques décennies, les découvertes archéologiques ont mis à jour des écritures alphabétiques plus anciennes que celle d’Hiram, et dénommées selon le lieu de leur découverte : écriture proto-sinaïque au Sinaï, écriture proto-cananéenne en Canaan et en Terre d’Israël. Mais les tribus nomades du Sinaï n’ont laissé aucune écriture et les Cananéens écrivaient en cunéiforme[8]Comme notamment dans les lettres d’El-Amarna adressées au pharaon Akhénaton. Le seul peuple de ces régions qui a laissé des écritures dès cette époque, depuis la péninsule du Sinaï jusqu’à son établissement en Canaan, est le peuple israélite. Certains ouvrages font d’ailleurs référence au paléo-hébreu pour désigner ces inscriptions primitives. Et les textes plus complets sont notamment ceux de Khirbet Qeyafa, datant du roi David père de Salomon, et de Tel Guézer datant du 10ème siècle avant notre ère. Une cruche en argile a aussi été découverte en 2013 à Jérusalem par l’archéologue Eilat Mazar (z’’l) avec une inscription décrivant la qualité inférieure du vin de cette cruche, à ne servir qu’aux serviteurs et gardes du roi (Salomon). On voit ainsi que l’hébreu était déjà largement répandu aux temps de David et de Salomon, alors que les Phéniciens ne faisaient que le découvrir.
Mis à part les Phéniciens, d’autres alliés des rois d’Israël en ont bénéficié, notamment les rois d’Aram. Ceci a fait que les peuplades au nord du Levant, notamment en Syrie actuelle, ont utilisé un alphabet proche de l’hébreu : l’araméen. Comme le Grec s’est répandu dans l’empire romain, et par la suite en Europe, l’araméen a été l’ancêtre de l’arabe notamment. A l’époque tardive des rois de Judée, la Bible parle de cette langue araméenne connue aussi des Assyriens qui avaient assujetti Aram :
Elyakim, fils de Hilkiyyahou, Chebna et Yoah dirent alors à Rabchakè: « Daigne parler à tes serviteurs en araméen, nous le comprenons; mais ne nous parle pas en judéen [hébreu], qu’entendent les gens qui se trouvent sur les remparts.[9]II Rois 18:26 »
Concernant l’hébreu écrit, il y a eu chronologiquement deux écritures. La première est celle de l’hébreu ancien, apparue il y a environ 3500 ans et qui a duré jusqu’à l’exil de Babylone. La seconde, l’hébreu actuel, a été créée pendant cet exil il y a environ 2500 ans. De l’une à l’autre, la langue hébraïque, sa grammaire et ses mots n’ont guère changé mais la forme des lettres est devenue ‘carrée’ et ce changement date du retour à Sion et de l’époque Second Temple.
C’est lors de l’exil de Babylone, dû à la bonne relation entre le prophète Daniel et le roi Darius, que les peuples mésopotamiens ont commencé à utiliser un alphabet. Ce changement était intervenu à la suite d’un décret de Darius :
Alors le roi Darius a écrit à tous les peuples, à toutes les nations, et dans toutes les langues qui se trouvent sur toute la terre: « Que votre prospérité soit grande![10]Daniel 6:26
Ce verset, peu commenté, sous-entend que Darius avait fait un recensement de ses peuples et langues de son royaume pour établir son décret. Daniel avait aidé à la tâche et avait introduit l’hébreu et le concept d’alphabet à ce moment-là. La Perse a ainsi commencé à utiliser un alphabet à l’époque de Darius.
Côté calligraphie, le phénicien ayant emprunté l’alphabet à l’hébreu ancien, la forme des lettres phéniciennes, grecques, romaines et européennes est calquée sur cette version ancienne de l’hébreu. Par exemple la lettre A est identique à la forme de la lettre Aleph ‘renversée’ en hébreu ancien.
Concernant le vocabulaire, des mots français proviennent de l’hébreu. Ceci est dû aux échanges humains au fil des siècles. En voici quelques exemples.
Alphabet : ce mot vient des deux premières lettres de l’alphabet, alpha-bêta en grec qui a emprunté ces noms à aleph-beth en hébreu.
Alléluia : cette expression est tirée de l’hébreu Hallel qui est une prière de louange à Dieu.
Antique, Antiquité : vient de atiq (עתיק) qui signifie ancien, mot biblique utilisé notamment dans I Chroniques 4:22.
Aura, Auréole : vient de or (אוֹר) qui signifie « lumière » ; il est possible que le métal précieux « or » en français, qui se dit Aurum en latin, provienne de la même origine car ce métal brille une lumière.
Baraka : avoir la baraka signifie avoir de la chance ; ce mot vient de l’hébreu bérakha (בּרָכַה) qui signifie bénédiction.
Benjamin(e) : il s’agit de l’enfant le/la plus jeune d’une famille ; le mot est évidemment tiré du nom hébraïque de Benjamin qui était le dernier né des 12 tribus bibliques d’Israël.
Calculer : vient de la racine c-l-c-l (כלכל) qui signifie compter, mesurer, et qui donne le mot calcala (כלכלה) en hébreu moderne qui signifie économie.
Carat : unité de mesure pour pierres et métaux précieux ; le mot vient du nom d’un arbre, le caroubier (kharub חרוב en hébreu), qui donne des petites graines de poids fixe qui étaient utilisées dans l’antiquité pour faire des pesées de précision ; dans la Bible, Exode 30:13, il est donné sous le nom antérieur de guérah (גֵּרָה en hébreu) ayant valeur de 1/40 shékel. Or le shekel biblique était de 8 grammes. Donc le guérah pesait 1/5 de gramme : c’est bien le poids du carat moderne.
Chérubin : provient du mot khérubim (כרובים en hébreu) qui signifie un groupe particulier d’anges au service divin ; il y a aussi le mot séraphin en français, originaire de l’hébreu séraphim (שרפים) qui désigne un autre groupe d’anges.
Cirque : ce mot provient du latin Circus qui veut dire cercle ; ce mot proviendrait peut-être du grec κύκλος (prononcé kyklos) pour cercle ; or le mot hébreu kykar (כיכר) exprime le même concept à savoir le kykar est le centre névralgique d’une ville où tout converge, comme un cercle autour d’un centre. De plus kykar était aussi utilisé pour nommer les pièces de monnaie, car elles étaient circulaires. En hébreu la répétition de la lettre כ (donc la lettre c en latin et la lettre κ en grec) fait que, si on met les 2 lettres faisant face l’une à l’autre, on obtient un cercle.
Cosmos : ce mot signifie univers et provient du grec Kosmos mentionné dans l’histoire des débuts du monde selon la mythologie grecque, qui a largement empruntée au récit biblique de la Genèse ; en effet, selon les Grecs, au début il y avait le Chaos (le Tohu-Bohu biblique) puis l’ordre est venu avec le Kosmos qui est l’univers existant ; ce mot est emprunté au terme biblique yékoum (יקום) qui signifie tout ce que Dieu a créé d’existant, donc l’univers ; voir récit du Déluge, Genèse 7:4 : et j’effacerai toute l’existence (ha-yékoum) que j’ai créée.
Durée, durer : vient de l’hébreu dor (דור) qui veut dire génération, car ce qui dure se poursuit de génération en génération (דור ודור en hébreu), et veut aussi dire « durée de la vie » comme dans Nombres 32:13 : jusqu’à l’extinction de cette génération entière (kol ha-dor).
Nous avons ici effleuré le sujet des mots français qui proviennent de l’hébreu. Notons à l’inverse que le célèbre commentateur Rashi a emprunté au français médiéval, dont de nombreux mots ont disparu du français moderne, pour expliquer certains termes de l’hébreu biblique. Ainsi on peut constater que les échanges entre les peuples n’ont pas été que commerciaux mais linguistiques aussi, et ceci dans les deux sens.