La fête de Chavouot porte plusieurs noms : la fête des semaines, en regard des sept semaines écoulées qui sont minutieusement comptées depuis la fête de Pessah, aussi « Hag Hakatsir », la fête de la moisson , mais également et certainement le plus évocateur, celui mentionné dans la prière « Zman matan Toraténou », littéralement: « le temps du don de notre Torah ».
Cette appellation suscite la surprise pour plusieurs raisons que nous allons poser comme préambule à notre réflexion.
Lorsque l’on parle d’un « temps », il s’agit en général de plusieurs jours d’affilée, comme pour Souccot, le « temps de notre joie » qui dure sept jours. Or, Chavouot, en Israël, ne dure qu’une seule journée, on ne devrait pas la définir comme un temps mais plutôt comme un seul jour de fête.
La Torah nous vient de D.ieu. Elle ne peut devenir « nôtre » qu’après nous y être pleinement investi, ce qui n’était pas encore le cas au jour de la Révélation. Ce n’est donc pas encore notre Torah.
[1]Les dates nous surprennent également : dans le calendrier hébraïque, nous fêtons la fête de Chavouot le 6 Sivan, pourtant le don de la Torah n’a eu finalement lieu que le lendemain, soit … Continue reading En effet, les enfants d’Israël sont sortis d’Égypte le jeudi 15 Nissan, et l’on sait que la Torah fut donnée un Chabbat ,donc 51 jours plus tard, soit forcément le 7 Sivan.
S’il en est ainsi, que fêtons-nous le 6 Sivan ?
Pour le comprendre, plongeons-nous dans ce qui nous semble être un des plus marquants actes manqués de l’histoire et qui s’avèrera, en fait, être l’une des plus belles réussites de l’humanité.
[2]Le Talmud raconte que D.ieu demanda au peuple d’Israël de se préparer au don de la Torah : « Aujourd’hui et demain. » Moïse interpréta cet ordre ainsi : « De la même manière que demain compte 24 heures, le premier jour aussi doit compter 24 heures, la préparation ne commencera donc que demain. » D.ieu lui-même souscrit à la décision indépendante de Moïse et le don de la Torah fut retardé d’un jour.
[3]Le Maharal de Prague nous explique que l’ordre divin était ambigu et laissait la porte ouverte à l’interprétation que Moïse en a faite. L’ordre n’était pas explicite et Moïse l’a interprété et reformulé de son propre chef. Mais l’intention divine était la même, pourquoi ne pas l’exprimer clairement et laisser l’homme seul face à son interprétation ? La réponse est que seul l’homme qui a compris la grandeur de la Torah peut demander cette journée supplémentaire pour se préparer au mieux à la recevoir. Ceci peut se comparer à un délai supplémentaire pour la préparation d’un examen. Un élève consciencieux qui s’est préparé au mieux de ses possibilités devant l’ampleur du sujet, demandera quand même un jour de révision supplémentaire qu’il utilisera au mieux.
Un jour de plus de préparation ne peut être demandé que par l’homme qui a compris la puissance de la Torah, sa profondeur sublime et la nécessité de se préparer le mieux possible pour la recevoir. C’est la raison pour laquelle le décalage du don de la Torah ne pouvait être qu’une initiative humaine, venant d’un homme dont l’oreille fine avait su percevoir l’intention divine.
Nous pouvons en tirer une conclusion très intéressante. La Torah compte en fait deux parties : les injonctions et les directives que D.ieu nous a données. Une part est remise à l’homme, plus précisément aux Sages de la Torah qui fixeront la loi, telle que le Créateur l’attend de nous.
Cette possibilité qui nous a été donnée lors du don de la Torah a un impact saisissant. L’homme qui a reçu la Torah a obtenu une force de décision qui peut impacter toute la réalité, et ce, jusqu’aux mondes supérieurs. Par exemple, nous savons que les Sages d’Israël siégeaient dans la « Lichkat Hagazit » — la cour en pierres de taille du Sanhédrin, au cœur du Temple de Jérusalem — et décidaient de la sanctification du nouveau mois. Or, le jour de Roch Hachana — jour du jugement — est un jour de Rosh ’Hodech — de début de mois. Le Talmud témoigne donc que, dans le Ciel, D.ieu lui-même, attend la décision des Sages d’Israël pour débuter le jugement de l’humanité. Quand le Sanhédrin statuait que le mois de Tichri serait décalé et ne commencerait que le lendemain, D.ieu se levait de son trône de justice, renvoyait les anges accusateurs et défenseurs, faisait fermer les livres où devaient être inscrits les humains pour la vie ou la mort et toute la procédure était reportée au lendemain ! Une procédure céleste aussi solennelle pouvait même être repoussée par la décision d’un tribunal humain…
Cette innovation nous fut acquise grâce à l’intervention de la fleur du genre humain, Moïse le législateur, à la veille du don de la Torah, qu’il repoussa par son intervention, à l’aune de son intelligence. Quand s’exprima cette nouvelle possibilité ? Le 6 Sivan ! Le jour d’un acte manqué qui clame la puissance insoupçonnée de celui qui accepte la Torah dans toute sa profondeur, avec l’honneur et la préparation qui lui est due ! En effet, seul celui qui a suffisamment d’humilité pour plier son intelligence devant celle de la Torah verra un jour sa parole considérée comme faisant partie intrinsèque de cette même Torah.
Le 6 Sivan est donc le moment où nous recevons la puissance de la Torah, mais d’une Torah que l’on peut appeler « notre Torah », non plus seulement celle de D.ieu. Israël ne commémore pas un événement qui se serait déroulé le jour du 6 Sivan, mais un temps, un Momentum qui a créé une Torah qui nous donne une force insoupçonnée.
Mon maître, Rav Moché Chapira za’l, expliquait que le mot Zman — temps — provient du mot Hazmana — invitation, déclenchement. Le 6 Sivan n’est pas un jour, mais un « zman », un déclencheur de puissance, un révélateur de potentiel qui est légué à celui qui comprend la grandeur du trésor qui va nous être donné : la Torah ou l’expression de la Parole et Volonté du D.ieu vivant.