En 1927, au congrès Solvay, les physiciens se disputent pour savoir si la mécanique quantique est aléatoire ou organisée selon un système. Einstein déclare : « D.ieu ne joue pas aux dés ! » et montre qu’il est contre l’hypothèse aléatoire. Niels Bohr lui répond : « Qui êtes-vous, Albert Einstein, pour dire à D.ieu ce qu’il doit faire ? » Einstein réitère plus tard avec cette formule tout aussi humoristique : « Le hasard, c’est D.ieu qui se promène incognito ». Enfin, Jérôme Duhamel précise que cette citation a été publiée, à l’origine, dans un article de 1927 et qu’elle a été reprise dans l’ouvrage Albert Einstein : a life for tomorrow, Bookland (1958).
C’est ainsi que les sites internet présentent l’apparition de la formule. Et c’est ainsi que le physicien imaginatif rejoint la génialité de l’hébreu. En effet, le mot hasard se dit en hébreu mikré. Lorsque l’on intervertit l’ordre des lettres de ce mot, on aboutit à deux expressions :
Rak Mé Hé-Hachem, ce qui signifie « Cela ne vient que de D.ieu »
Ou bien
Rokem Hé-Hachem, que l’on peut traduire « Hachem tisse – sous-entendu — le réel.’’
Quand la géniale intuition d’un savant révolutionnaire rejoint l’antique perception de la foi juive.
Non, la foi n’est pas déconnectée de la raison raisonnante ; elle en est même le chariot majestueux, à la manière du chariot céleste des visions du prophète Ezéchiel.
Pour le Judaïsme, le hasard est un sourire à peine voilé de la providence. Ce que l’on nomme « coïncidence » n’est rien d’autre que le reflet concret d’un projet ancien et qui ne pouvait que se traduire dans la vie concrète ; D.ieu se masque derrière le paravent des lois de la nature, dans l’enchaînement — le déchaînement ? — des causalités. Il accompagne tout un chacun et qui veut le voir saura le savoir et, surtout, le faire savoir.
De fait, le hasard est donc, nous l’avons compris, une forme de providence divine. Si une place de parking se libère alors que je pénètre dans la rue où je voulais me garer pour être à proximité, c’est pour « me signifier quelque chose »…
La Torah nous raconte que lorsque Yossef a été vendu par ses frères, il a été transporté par une caravane ismaélite qui transportait des encens à l’odeur sublime. D’ordinaire, nous dit Rachi, le grand commentateur de la Bible et du Talmud, les tribus arabes transportait du pétrole !! Or, dans ce cas d’espèce, comme par « hasard », et donc par la grâce de la providence divine, cette caravane transportait des encens. « C’est une manière, nous dit Rachi, de faire sentir au Juste, à l’homme pieux, qu’il n’est pas seul, qu’il ne sera jamais seul !
Le Hasard et la providence sont pour le Judaïsme les deux faces d’une même médaille : le Créateur est présent, à des degrés de visibilité divers et variés, dans Son monde.
Qu’en est-il des miracles ?
Nahmanide, dans son commentaire sur la fin du chapitre 13 de l’Exode (13, 16) répond à cette interrogation. Il classe les miracles en deux catégories : les miracles dévoilés et ceux qui sont masqués sous le revêtement des lois de la nature.
Il conclut son développement par ces mots :
« A partir des miracles célèbres (et visibles) l’être humain reconnait les miracles voilés (NDA : par exemple, l’extraordinaire précision du corps humain, les réglages de l’Univers etc. etc.). Cette reconnaissance est un des fondements de la Torah. Car l’homme n’a aucune part dans la Torah de Moïse notre maître, tant qu’il ne reconnaît pas que les occurrences de sa vie ne sont que des miracles. Ils n’obéissent pas aux lois de la nature ou aux processus naturels…. »
Autrement dit, l’homme doit s’éduquer à regarder par-delà l’écran des faits naturels, ou même sociaux. Rien n’échappe à l’intervention divine. Le « hasard » ne sera donc plus une promenade « incognito » du Créateur mais un spectacle permanent.
Ce que l’on nomme « miracle » n’est finalement que l’exacerbation du « hasard ».
C’est un peu comme si un acteur caché, mais bruyant, décidait de sortir de sa cachette, pour faire voir, constater et valoriser sa présence.
Ainsi faut-il comprendre les miracles. Le Créateur cesse d’intervenir masqué dans lois de la nature ; Il défie ses propres lois. Il énonce Son ontologie. Son être consiste précisément dans le fait qu’il est, mais qu’Il se manifeste et qu’Il est même enclin à le faire constater par Ses créatures.
Quelle est donc la frontière entre le miracle et le hasard ?
Le rapporter à la visibilité serait trahir leur sens.Leur frontière passe là où se manifestent le désir, le besoin et l’impératif divin envers les humains ; souriez ! Vous êtes pris en photo à chaque instant !
Je vous écrivais ce petit texte à tout hasard. Si, par hasard, vous pensiez que nous seuls sommes livrés à l’arbitraire des lois de la « nature », seuls dans l’Univers, à jamais fruits du « hasard ».