Le miracle de Hanouka eut lieu durant la domination grecque sur Israël. Il s’agit d’une forme d’exil particulière où le peuple juif vit sur sa terre, mais privé de toute souveraineté.
Les différents exils qu’a vécus le Peuple d’Israël ne sont pas une erreur de l’histoire. Ils sont nécessaires à la maturité de notre peuple et à la diffusion du message de la Révélation à travers l’Humanité. Dans les balbutiements de la Création, nos maîtres voient apparaître l’annonce de quatre exils qui jalonneront notre histoire.
Le second verset de la Bible dit : « Or la terre n’était que solitude et chaos ; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de D.ieu planait à la surface des eaux. »
Dans le Midrach Rabba [1]Berechit Rabba 2,4 , Rech Lakich voit ici une allusion à quatre exils successifs : « solitude » est l’exil de Babylone ; « chaos » est l’exil de Perse ; les « ténèbres » sont l’exil grec, et « l’abîme » est l’exil de Rome dont la longueur et les douleurs rappellent les profondeurs abyssales. Tout cela jusqu’à ce qu’apparaisse « le souffle de D.ieu » qui est l’esprit du Messie qui nous délivrera finalement.
Le rapprochement que font nos Maîtres entre la Grèce et l’obscurité surprend. La civilisation grecque est la civilisation la plus brillante de l’antiquité. La méthode scientifique grecque est la base sur laquelle se construira la recherche scientifique moderne et les prodiges de la technologie. La démarche philosophique initiée dans les académies d’Athènes sera le terreau de la Pensée des Lumières, de la culture occidentale et de notre société démocratique.
Mais nos Sages voient ici une obscurité : « Car ils obscurcirent les yeux d’Israël par leurs décrets. » Les décrets imposés par Antiochus IV au peuple de Judée, afin d’effacer toute spécificité juive, furent impitoyables et innombrables : interdiction de l’étude de la Torah, de la circoncision, du Chabbat, de la proclamation du Roch Hodech qui permet l’établissement du calendrier juif, de consommer de la nourriture cashère…
Le Midrach choisit cependant de citer un décret particulièrement étrange : « Car ils ordonnèrent de graver sur la corne des taureaux que nous n’avons pas de part dans le D.ieu d’Israël. »
La corne du taureau est-elle vraiment le vecteur le plus efficace pour diffuser et publier un tel message ?
Au British Museum, on peut trouver un objet antique très intéressant : une corne de vache dont la pointe a été tranchée et remplacée par un morceau de tissu. Il s’agit d’un biberon d’époque ! La corne est remplie de lait et le nourrisson tète le bouchon de tissu. S’il en est ainsi, explique le Rav Gurwitz de Gateshead, graver sur la corne des taureaux signifie que les enfants juifs tètent, avec le lait de leur mère, le rejet de D.ieu. Les Grecs ont donc choisi une des méthodes les plus efficaces de modification d’une société : s’attaquer à l’éducation des enfants et dicter les messages transmis à la nouvelle génération.
Mais le Maharal de Prague, dans son Ner Mitsva [2]Ner Mitsva p. 15, nous dévoile encore une autre facette surprenante de ce Midrach : le choix de la corne du taureau vient ici rappeler au peuple Juif sa déchéance lors de la faute du Veau d’or !
Pour comprendre cet enseignement [3]Voir en détail Siftey Haim de Rav Haim Friedlander Moadim tome II p.60, nous devons approfondir notre compréhension de la faute du Veau d’or. Il est en effet difficile de percevoir qu’à peine quarante jours après la Révélation, après la succession sidérante de miracles de la sortie d’Égypte, un peuple sensé ait pu proclamer devant une effigie d’or à peine fondue : « Voici tes Dieux ,Ô Israël, qui t’ont fait sortir d’Égypte ! »
Le Ramban [4]Chemot 32, 1 nous explique que lors du don de la Torah sur le Sinaï, il a été offert au peuple juif une perception du Tout Puissant sur son Trône de Gloire, porté par quatre pieds, sculptés d’un lion, d’un taureau, d’un aigle et d’un être humain.
Le lion, placé du côté droit, le plus fort, symbolise la gestion divine miraculeuse du monde. Semblable au roi des animaux qui fait plier chacun sous sa domination, Hachem dirige royalement le monde, d’une main de maître et sans aucune limitation.
Le bœuf, placé du côté gauche, plus faible, dispose aussi d’une énergie colossale, mais cette énergie est canalisée, domestiquée, pour être utilisée au labour de l’époque. Il symbolise la gestion du monde où D.ieu habille sa main du gant de la nature. Comme l’énergie du bœuf est cadrée par le carcan, D.ieu encadre Ses interventions par les lois de la physique, de la médecine ou de la géopolitique.
Le peuple d’Israël sortant d’Égypte vit clairement sous le régime du lion : son pain est la manne tombant du ciel, il s’abrite sous les nuées de la Gloire divine et remporte ses victoires par des miracles comme l’ouverture de la Mer Rouge.
Mais au moment où son berger, Moïse, semble disparaître sur le Mont Sinaï, un doute nous assaille. Sans Moïse qui nous a menés à ce haut niveau moral, pouvons-nous vraiment vivre dans un système constamment miraculeux ?
Ne serait-il pas plus prudent de se rabattre sur un système plus classique, plus naturel : le régime du bœuf ? C’est la raison du Veau d’or. Un peuple, sorti d’Égypte avec les tambours et trompettes du miracle, qui demande désormais une vie plus confortable où il peut gérer logiquement les causes et les conséquences. À leur niveau, cela leur sera reproché car ils avaient la possibilité de vivre en voyant constamment la main divine gérant explicitement le monde.
La vision du monde grecque est un monde abandonné par D.ieu, s’il ne l’a jamais créé. À l’homme livré à lui-même revient le devoir de soumettre la nature, ce qui fera de lui le maître du monde.
Le judaïsme s’oppose frontalement à cette vision : D.ieu a créé le monde et continue à le gérer à chaque instant. Si nous vivons, certes, selon les lois de ce monde, nous savons aussi que l’intervention divine est constante et le miracle toujours possible.
Cependant, la réponse des Grecs est une flèche empoisonnée :« Écrivez sur la corne du taureau », ‘’ Écrivez” : pour que ceci soit bien clair dans votre esprit. “Sur la corne” : La corne symbolise la force du “taureau” et des lois de la nature! Proclamez avec nous la puissance des lois de la nature! Car même vous qui portez haut et fort l’étendard du miracle, n’avez pas eu le courage de vivre sous le règne du lion. Vous avez bien vite couru vous réfugier, lors du veau d’or, sous le règne du taureau, dans un monde confortable, géré par les lois de la nature. Alors, reconnaissez le bien fondé de notre thèse, et venez vivre de façon naturelle, sans avoir affaire à D… et à ses miracles…»
La réponse juive sera justement toute l’histoire de Hanouka. Une poignée d’hommes courageux qui se lance avec un courage désespéré à l’attaque de la plus grande puissance militaire de l’époque. Quelques justes aux armes rudimentaires face aux phalanges et aux éléphants de guerre qui ont fait chuter les empires de Perse et de Médie ! Parce que le miracle peut arriver et doit arriver quand D.ieu gère le monde !
Une fiole d’huile qui ne peut brûler qu’un jour, alors que huit sont nécessaires : le miracle arrive parce que ces hommes y croient de tout leur cœur.
Le génie de Hanouka n’est pas seulement que le Peuple Juif ne vit que par miracle et ne traverse l’histoire que par la main divine. Il réside dans cette proclamation qui nie le décret grec : « Nous avons une part dans le D.ieu d’Israël ! »
Qui dit part, dit association. Le peuple d’Israël est associé à D.ieu dans la gestion du monde. La source de cette notion de « part dans le D.ieu d’Israël » est un verset du cantique de Haazinou : « Car ce peuple est la part du Seigneur ; Jacob est le lot — littéralement la corde — de son héritage. »
Lorsque l’on tire violemment une extrémité d’une corde, la seconde extrémité suit le mouvement. Rav Haïm de Volozine explique que définir Israël comme la corde de D.ieu signifie que l’action d’Israël entraîne l’action divine.
Par la moralité de ses actions, par ses prières, et surtout lorsqu’il croit vraiment au miracle, le Peuple d’Israël ouvre la porte pour que D.ieu agisse dans ce monde.
L’immense lumière de Hanouka a été créée par une poignée de visionnaires qui croyaient au miracle. Cette foi intense a rendu possible un miracle où Hachem a dévoilé sa miséricorde sans limites : une victoire militaire impensable, la rénovation du Temple et cette petite flamme de Hanouka qui témoigne pour l’éternité de l’association entre D.ieu et son peuple.