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Rencontre/Re-co-naissance

Tou Bé Av est là, la fête de l’amour en Israël, la saison des mariages.
Toubeav

Le Talmud, dans le traité Ta’anit (26b), rapporte que le 15 Av comptait parmi les jours les plus joyeux que connaissait le peuple juif. Y étaient organisées des Chiddou’him — rencontres en vue de mariage — entre les tribus, les filles de Jérusalem sortant toutes vêtues de blanc et engageant la discussion avec les célibataires venus faire connaissance.

L’occasion rêvée de revenir sur la définition « juive » d’une rencontre authentique, celle sur laquelle fonder un couple qui saura résister à l’usure du temps et devenir le socle d’un foyer dans la tradition de Moïse et Israël — « ké dat moshé vé Israël ».

 

1. S’ouvrir à l’Autre

« Toute vie est une rencontre[1]Martin Buber, JE et TU.»

Nous naissons à l’autre, nous naissons par l’autre, par le miracle de la rencontre.

« Avant même ta naissance, je t’avais choisi[2]Parole de D.ieu au prophète Jérémie quand celui s’éveille à la prophétie.»

André Neher, dans son Jérémie, explicite cette expression comme un retournement total du sens habituel des termes « connaître » et « choisir ».

Faire connaissance, c’est se re-connaître. C’est être élu par l’autre, avant même de le savoir. Être aimé avant même de tomber amoureux.

Choisir l’élu, c’est le reconnaître et se reconnaître soi-même. C’est accepter de faire partie d’un plan divin qui non seulement dépasse notre entendement mais qui, soudain, coïncide exactement avec notre propre intuition et notre volonté. Bien loin de ce que l’on peut appeler le destin, la fatalité ou la chance :

« Les grimaces deviennent sourires ; les douleurs, exaltations ; les répulsions, invites ; le destin, vocation. Il suffisait de ces deux mots : connaître et mettre à part […] Mais le sens de toutes ces notions était comme retourné vers la lumière.

[…] Au lieu d’être maudit, on était béni. La douleur restait, mais elle avait un sens. La blessure était profonde, mais elle déracinait le mal. L’implacable rigueur était un acte d’amour. Cela aussi, Jérémie l’avait entendu de la bouche de ses parents et de son maître, à l’école, à savoir que dans la langue de Dieu, parlée par les Hébreux comme leur langue maternelle, connaître signifiait aimer, et mettre à part, sanctifier. »

Cette rencontre est une élection, élection avant même de venir au monde, la rencontre est celle de deux âmes qui se reconnaissent, sans toutefois ne jamais pouvoir se saisir. Pour rencontrer véritablement l’autre et le reconnaître comme l’élu, il faut encore être capable non seulement de s’ouvrir à l’autre mais aussi d’accepter qu’on ne pourra jamais le « saisir » entièrement, le réduire à un savoir. On ne pourra pas en faire le tour, et c’est ce mystère, cet enchantement, cette résistance à toute possession qui fera que ce sera le bon.

« S’ouvrir à l’autre, c’est s’offrir à lui dans une vulnérabilité totale, c’est s’exposer « à la blessure et à l’outrage » au point de se dévêtir de son être et de devenir une « passivité radicale« [3]Emmanuel Lévinas, Humanisme de l’Autre Homme, p. 104.»

L’Autre reste irréductible, insaisissable, et pourtant, je peux le connaître :

YEDIA, non pas seulement savoir, mais amour, connaissance intime, intuitive, charnelle et sensible. Prophétique.

Comme la rencontre de Ytzhak et Rivka, dans les champs où il l’attendait, priant, méditant, attendant son « chiddou’h[4]Rencontre juive « arrangée » par un intermédiaire, le « chadran »», la femme qu’Eliezer, envoyé par son père Avraham, avait choisi pour lui : il l’aperçoit sous son voile, elle tombe du chameau et il l’embrasse… et puis, il pleure.[5]Les commentateurs sont partagés sur la raison de ces pleurs : est ce qu’il voit toutes les souffrances qu’ils vont devoir traverser ensemble ?

Une rencontre juive, qui transcende le temps.

L’amour n’est pas un choix, c’est une élection.

Le savoir de l’Autre ne s’acquiert pas, il faut s’ouvrir à lui, se rendre disponible, savoir se taire pour écouter. Attendre, se faire réceptacle, donner et savoir recevoir. KABBALA.

Dialogue entre le JE et le TU, ANI vé ATA, pour que les deux luminaires soient égaux et se voient dans leur vérité, chacun doit devenir le sujet de l’autre, et alors seulement leurs deux lumières brilleront ensemble, au même moment.[6]Manitou, commentaire sur le midrach de la lune et du soleil

Il y a deux sortes de relations possibles entre les êtres, le JE/TU et le JE/CELA. Dans le JE/CELA, la sorte de relation la plus répandue de nos jours, l’autre est objectivé. Il répond à mes besoins, mon attente, mes demandes. Je retire un intérêt à cette relation et je cherche comment l’utiliser au mieux. À l’inverse, le JE/TU demande du courage et de regarder la vérité en face. Il demande non seulement de faire tomber les masques afin d’être soi-même, mais aussi d’accepter l’autre dans sa vérité et son intégrité. Le faire passer avant soi-même et l’aimer comme son prochain, « ahava ché lo tlouya ba davar » — un amour qui n’a pas de raison.

2. Une Rencontre prophétique

« L’homme est vu simultanément dans le regard des autres hommes et dans le regard de Dieu.[7]André Neher, L’essence du prophétisme»

L’idée développée par Martin Buber, André Neher et Avraham Heschel, c’est que la relation du Je au Tu est double : du Je au Tu humain, relation fragile, éphémère, mais authentique, et celle du Je au Tu « éternel », à D.ieu, comme sujet à part entière face au Je humain. Cette relation, basée sur la Rencontre des acteurs, rend l’homme et D.ieu protagonistes d’un même jeu, d’une même aventure. Cette relation à l’autre est l’essence même de l’humain, l’histoire humaine est donc l’aventure des échecs et réussites de ce dialogue Je/Tu[8]Martin Buber, Je et Tu : une histoire à double versant, à la fois avec les autres hommes et avec D.ieu. Tandis que la relation à l’autre humain est éphémère et temporelle, celle au Tu éternel est permanente. Permanence mais non fusion, comme dans l’expérience mystique où le Je retourne au néant en se fondant dans le tout divin.

Neher, comme Buber, va insister sur la séparation qui demeure toujours entre les deux sujets et garantit leur autonomie. La distance infranchissable entre les deux sujets, seule, permet la liberté. Buber insiste sur le caractère personnel de la relation au divin fondant la subjectivité. Pour Buber, « toute vie réelle est une rencontre ». Dès lors, l’homme est homo dialogus dans sa capacité à se mettre en position de dialogue avec l’Autre et homo religiosus dans sa condition d’être relié aux autres.

Ainsi, chez Buber, la communion entre hommes fait écho à la communion avec D.ieu en un mouvement de va et vient entre créatures et créateur. Ce mouvement de réciprocité est fait de Parole et d’Amour. La condition en est la Rencontre Authentique — beziehung ou erlebnis — dans la relation Je/Tu. La relation Je/Cela est voilée, étouffée en monologue, superficielle — erfahrung. La présence divine va habiter le dialogue véritable où réciprocité et responsabilité s’entremêlent dans un rapport de nécessité : la relation Je/Tu authentique ne peut se faire qu’en prenant le risque de l’ouverture totale, de la mise en danger du Je, de l’exposition au rejet. Il faut affronter l’Autre dans sa réalité et assumer la Parole comme réponse à donner à une présence réelle. La Bible est le témoignage du dialogue entre le divin et l’humain, autant de l’écoute de D.ieu à l’appel de l’homme que des réponses de l’homme à l’appel de D.ieu.

Au-dessus de l’Arche d’alliance, deux anges en or se font face, deux chérubins. Quand la présence divine règne, ils se font face ; quand elle déserte les couples, ils se tournent le dos. Entre les deux, un espace, un vide, une respiration.

Un entre-deux, un « emtsa[9]Maharal de Prague», un milieu qui permet la rencontre véritable, la liberté, le souffle.

« D.ieu est occupé à former des couples[10]Midrach berechit raba, voir aussi cette idée dans le Zohar (Hou mézaveg zivouguim). » Lui et non un ange, lui et non un envoyé, lui-même, en personne. Et il est prêt à effacer jusqu’à son nom pour sauver l’amour, le « chalom bayit », la paix de la maison[11]Lois de la femme adultère, voir Talmud Massehet « Sota ».

Car sur cette rencontre se fonde le monde et son avenir.

3. La naissance du Messie

Le fiancé et la fiancée du Cantique des Cantiques se cherchent, se chantent, se décrivent, objets de désir mutuel, et pourtant se ratent, se perdent, se trompent, s’éloignent, s’écartent… mais « l’amour est fort comme la mort[12]Chir haChirim».

Quelle que soit la douleur et la distance, il suffit qu’un des deux garde en lui l’amour pour raviver cet amour chez l’Autre.

L’amour est contagieux, feu et flamme, qui chasse les ténèbres et ramène la lumière dans ce monde.

Rachelle et Rabbi Akiva, Rabbi Meir et Brouria, Avraham et Sarah, Yehouda et Tamar, David et Batsheva…

« Dis que tu es ma sœur. »

« Batsheva était destinée à David depuis les six jours de la Création. »

Étude, intellect, passion, nourriture, transmission, fécondité, avenir et rédemption.

La clef de la rencontre véritable est de réussir, un instant, à se mettre à la place de l’autre :

« Et je verrai le monde par tes yeux et tu le verras par les miens dans un échange vrai et nous nous rencontrerons[13]Jacob Levy Moreno, père fondateur du psychodrame

L’homme rencontre la femme, sœur, épouse, ‘’aide contre lui’’ — « ézer ké négdo » —, interlocutrice, partenaire dans l’œuvre de la création. Elle ne vient pas compléter un manque mais tenir une place, une forteresse [14]Éliane Amado Lévy-Valensi, « Oui je suis femme et je suis juive », d’où l’importance que chacun fasse son propre chemin vers lui-même pour pouvoir ensuite aller vers l’autre :

« Le modèle juif est existentiellement signifiant de toute angoisse, peut-être parce qu’il implique l’angoisse surmontée, la survie, une sorte de chemin vers soi-même impliqué dès l’histoire d’Avraham, « lè’h lé’ha », signifiant va vers toi-même, jusqu’au Cantique des Cantiques où, comme l’a fait récemment remarquer Chouraqui dans son admirable traduction « lé’hi la’h », toujours mal traduit, est le corrélatif grammatical littéral, au féminin, du Lè’h Lé’ha d’Abraham. Ces deux itinéraires constituent les conditions de la Rencontre [15]Éliane Amado Lévy-Valensi, Le Grand Désarroi »

ICH et ICHA, deux êtres humains et la présence divine entre eux : sans le « Hé », marque du divin, le feu les dévore[16]Par la mitsva de ona (l’homme qui donne du plaisir à sa femme) la Présence divine repose entre les époux, selon l’explication midrachique de Rabbi Aqiba : « “Homme et femme” : s’ils … Continue reading)…

Avec, au cœur, YÉROUCHALAYIM CHEL ZAAV, une Jérusalem d’or, comme un bijou pour orner la tête de la KALA, la fiancée, pour dire l’amour irremplaçable :

« Si je t’oublie, Ô Jérusalem… »

Car je sais alors qu’il ne peut y avoir un autre au monde que cet élu et que je suis pour lui, l’unique et l’aimée de toute éternité.

Quand, enfin, il est respecté dans son intégrité et qu’elle est accueillie dans sa subjectivité, alors l’horizon s’éclaire et les graines du Messie sont plantées.

La Rencontre est toujours une porte qui s’ouvre sur l’infini des possibilités et ses chambranles sont faits d’espoir.

Références

Références
1Martin Buber, JE et TU
2Parole de D.ieu au prophète Jérémie quand celui s’éveille à la prophétie
3Emmanuel Lévinas, Humanisme de l’Autre Homme, p. 104
4Rencontre juive « arrangée » par un intermédiaire, le « chadran »
5Les commentateurs sont partagés sur la raison de ces pleurs : est ce qu’il voit toutes les souffrances qu’ils vont devoir traverser ensemble ?
6Manitou, commentaire sur le midrach de la lune et du soleil
7André Neher, L’essence du prophétisme
8Martin Buber, Je et Tu
9Maharal de Prague
10Midrach berechit raba, voir aussi cette idée dans le Zohar (Hou mézaveg zivouguim
11Lois de la femme adultère, voir Talmud Massehet « Sota »
12Chir haChirim
13Jacob Levy Moreno, père fondateur du psychodrame
14Éliane Amado Lévy-Valensi, « Oui je suis femme et je suis juive »
15Éliane Amado Lévy-Valensi, Le Grand Désarroi
16Par la mitsva de ona (l’homme qui donne du plaisir à sa femme) la Présence divine repose entre les époux, selon l’explication midrachique de Rabbi Aqiba : « “Homme et femme” : s’ils sont méritants, la Présence divine est entre eux ; s’ils ne le sont point, un feu les dévore. » (Sota 17a

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