Au beau milieu de l’hiver, dans le silence des plaines et des forêts glacées, surgit une fête, une rencontre.
Tou Bichevat, le 15 du mois de Chevat, est le nouvel an des arbres. C’est le jour où la sève recommence à couler dans les arbres ; une renaissance silencieuse, invisible, qui permettra aux arbres de donner le meilleur d’eux-mêmes : des fruits sucrés et juteux.
En ce jour, on se réunit autour de plateaux de fruits et de gâteaux, de vins et de boissons alcoolisées et on récite des bénédictions. On prie, par exemple, pour mériter de trouver un beau cédrat pour la fête de Souccot, durant laquelle on agite chaque jour quatre espèces de fruits.
Quel est le secret de ce jour « invisible » mais si porteur de sens ?
1) Nos sages débattent au sujet du moment de la création. Rabbi Éliezer pense que la création a eu lieu en Tichri, tandis que Rabbi Yéhochoua est d’avis qu’elle a eu lieu en Nissan.
Le mois de Nissan est le mois de la renaissance, du renouveau des forces de la nature. C’est le mois de la libération des énergies enfouies. C’est aussi et surtout celui de la libération de l’enfer concentrationnaire égyptien. Du point de vue de la Torah, c’est le premier des mois de l’année. Il marque l’apparition du printemps — Aviv en hébreu. « Aviv » s’orthographie de telle manière que l’on peut le décomposer en deux mots : Av —le père, fondateur, géniteur —, et « iv », qui est formé de deux lettres, Youd et Beth, dont la valeur numérique est 12. Le mois du printemps-Aviv est ainsi le « père des 12 mois suivants ».
Tichri, en revanche, est le mois du Din — du jugement. C’est le mois de la réflexion, de la remise en cause.
Dans la perspective de cette discussion, il faut poser deux points supplémentaires pour avancer dans cette réflexion : le 1er Tichri et le 1er Nissan correspondent à la création d’Adam haRichone. La création de l’Univers a eu lieu 6 jours auparavant, le 25 Adar ou le 25 Eloul, selon les avis.
2) Nos sages nous enseignent que 40 jours avant la conception de l’embryon, une voix céleste proclame que la fille d’untel se marie avec untel. Nous pouvons accoler cet enseignement à la création du monde, qui correspond à une naissance : celle de la création. Parvenus à ce point, nous rencontrons deux fêtes du calendrier juif : le 15 Chevat — Tou Bi Chevat —, 40 jours avant le 25 Adar, et le 15 Av, 40 jours avant le 25 Eloul.
Tou Bichevat — le 15 Chevat — intervient donc 40 jours avant la création. C’est en ce jour mystérieux, enfoui dans les neiges, que tout se décide. Le 15 Av était le jour où les jeunes filles sortaient dans les champs pour permettre des rencontres avec de futurs prétendants. C’est le jour où se préparent les mariages. C’est un jour où le féminin se prépare à sa rencontre avec le masculin. Le 15 Chevat est un jour de procréation. La nature s’éveille et se prépare à produire. C’est le jour où le principe de procréation — un principe masculin — se met en marche.
3) Tou Bichevat est donc un jour où nous récitons des bénédictions. La Bénédiction est synonyme, dans le judaïsme, de multiplication.
Ce principe se retrouve dans la structure même de la racine du mot bra’ha — bénédiction. Cette racine est formée de trois lettres qui ont une valeur numérique double de celles qui les précèdent dans l’alphabet : Beth, ayant pour valeur numérique 2, précédant le Alef, qui a pour valeur 1 ; Rech, qui a pour valeur numérique 200, qui est précédée du Kouf, dont la valeur numérique est 100 ; et enfin Khaf, qui a une valeur numérique de 20, précédée du Youd, dont la valeur numérique est 10. Le doublement d’un nombre est la plus petite manifestation de la multiplication.
Le mot bra’ha — bénédiction — contient donc en lui ce que nous nous préparons à vivre à partir de Tou Bichevat : la multiplication. La sève recommence à couler dans les arbres. Ceux-ci vont donner des fruits. La nature va produire. La nature va connaître un phénomène de croissance, de multiplication.
Ce constructeur silencieux et invisible nous révélera sa force lorsque nous verrons, quelques mois plus tard, des champs, des vergers et des palmeraies débordants de « bénédictions ».
C’est aussi un des thèmes les plus centraux du Judaïsme : la délivrance germe de l’invisible.