Combien d’entre nous en ont l’intuition ? Le modèle inconscient de la salle à manger dans une maison juive est le Temple, Mishkan de Moïse et Aaron dans le désert — la Tente du Rendez-vous où se tenait la Shékhina[1]Mishkan, Shékhina, shakhen, ces mots ont la même racine : « שכנ » — « établir, installer, habiter » —, qui laisse aussi entendre la notion de « gage »
(la Présence divine) — ou le Beit ha Mikdach[2]Mikdach, kidouch, kadich, kadoch, kodech, kédoucha… ces mots ont la même racine : « קדש » — « consacrer, sanctifier, dédier » à Jérusalem — la Maison de la Sainteté. La salle à manger d’une famille juive s’inscrit toujours plus ou moins dans le schéma originel d’un triangle formé entre une table, une bibliothèque et cette sorte d’autel sur lequel sont disposés les chandeliers de Chabbat.
« […] Tu érigeras le Tabernacle de la Tente d’audience. Tu y placeras l’arche du Témoignage […]. Tu y introduiras la Table et tu la dresseras ; tu apporteras la Ménora et tu en allumeras les lampes[3]Exode 40.2-4».
Bibliothèque, autel et table : détaillons ces trois éléments avec l’éclairage de la pensée juive.
Dans cette configuration domestique, profonde réminiscence de notre histoire antique, la bibliothèque — lorsqu’elle abrite des livres saints comme la Torah[4]Torah : l’Enseignement divin, le Pentateuque, l’ensemble des cinq Livres saints — Béréchit Genèse, Chemot Exode, Vayikra Lévitique, Bamidbar Nombres, Devarim Deutéronome, des sidourim[5]Sidour, pluriel sidourim : livre de l’ordre (séder) liturgique juif, livre de prièresou des ouvrages d’étude tels que des traités du Talmud[6]Talmud : trente-six traités de commentaires juridiques et éthiques de la Torah écrite — fait office d’arche sainte — l’Arche d’Alliance qui contenait les Tables des Dix Commandements.
Rabbenou Asher ben Yehiel[7]XIIIe siècle énonce le principe qu’acheter des livres de kodesh dans le but de les étudier revient désormais à accomplir la mitsva d’écrire chacun notre propre rouleau de Torah.
Ces textes méritent respect et marques d’attention particulières.
C’est pour cela qu’on embrasse un livre saint tombé malencontreusement par terre, qu’on évite de laisser ouvert un livre quand on ne l’étudie pas et qu’on respecte la hiérarchie de la littérature sacrée en ne posant jamais un ouvrage d’un statut inférieur sur un livre d’un statut supérieur comme un livre de littérature profane écrit dans une langue étrangère sur un Talmud ou un Talmud sur une Torah.
À un autre sommet de ce triangle, la Ménora était un grand candélabre à sept branches dont Moïse avait reçu l’image par inspiration divine, fabriquée à partir d’un seul bloc d’or pur.
Ses lampes à huile étaient nettoyées et allumées par les prêtres, les Cohanim.
Elle avait pour fonction de raviver la flamme de chaque Juif. Aujourd’hui, toutes les femmes — puisque c’est principalement à elles qu’incombe cette mitsva[8]En allumant ses lumières de Chabbat dans la joie et le recueillement, la maîtresse de maison répare la faute d’Ève qui avait « éteint la Lumière divine dans le monde »— élisent un endroit privilégié de la maison pour disposer les bougies de Chabbat et des fêtes.
La loi juive exigeant de manger, le Chabbat, tout près de ces lumières, notre petit autel dédié à cette action est toujours placé dans la cuisine et, plus fréquemment encore, dans la salle à manger.
Parce qu’une flamme allumée dans cet esprit représente l’âme juive et que celle-ci ne doit jamais s’éteindre, on ne placera pas ces bougies dans un emplacement qu’un courant d’air pourrait souffler[9]Rambam Hilkhote Chabbat 5.16 et 5.17.
En plus des chandeliers, qui sont toujours en paire[10]Deux bougies ou lampes à huile le Chabbat pour : « Souviens-toi (zakhor) du jour de Chabbat et sanctifie-le » (Exode 20.8) : tous les commandements positifs associés à la sanctification de … Continue reading, souvent augmenté d’autant de bougies correspondant au nombre d’enfants ou pour des vœux particuliers, on joint souvent des calligraphies hébraïques ou des images saintes, les plus beaux portraits de nos ancêtres aimés , des objets symbolisant Israël et Jérusalem et des miroirs ou des plateaux d’argent pour amplifier l’éclat des lumières d’huile d’olive.
Si la cuisine abrite un coin-repas— pinat o’hèl, פינת אוכל — pour les collations rapides du quotidien, celles pour lesquelles on ne s’attable pas nécessairement, la salle à manger —hadar okhel, חדר אוכל — est la pièce où sont pris les repas importants.
La table est souvent imposante, longue et large pour accueillir les très nombreux convives des repas de Chabbat et de fêtes. En terre sainte, les tablées de vingt-cinq à trente personnes ne sont pas rares, alors plusieurs tables sont alignées pour que tout le monde y trouve place !
L’architecte qui dessine les plans d’un logement en Israël ou d’une maison pour une famille juive devrait veiller à concevoir les espaces en privilégiant la pièce de séjour et, dans celle-ci, le coin salle à manger, car c’est véritablement la pièce la plus importante de la maison.
On n’y songe jamais, pourtant « table », qui se dit en hébreu שולחן — choul’han —, vient de la racine « שלח », qui signifie « envoyer ». D.ieu envoie Son abondance sur les Pains de proposition qui étaient posés sur la Table au Temple.
Un support matériel est en effet toujours nécessaire pour accueillir une bénédiction. C’est la notion-même de séouda[11]Séouda, de la racine סעד qui signifie « soutenir, aider », ce repas rituel qui installe la bénédiction dans une célébration — Chabbat[12]La Kabbale explique que ces bénédictions prononcées à l’occasion des repas de Chabbat se répandent sur les six jours de la semaine, Brit Mila[13]Brit Mila : circoncision pour l’Alliance, Bar Mitsva[14]Bar Mitsva : cérémonie de passage à l’âge adulte, mariage, erouv[15]Erouv : ceinture qui réunit des territoires disjoints pour en faire un seul domaine privé, azkara[16]Azkara אזכרה: cérémonie en mémoire d’un défunt, etc. De nos jours, par analogie, la table de la salle à manger tient lieu de Table sainte, quand elle accueille un repas conforme aux règles alimentaires juives qui fait l’objet de remerciements au Créateur.
C’est pour cela que de nombreux cours de Torah sont organisés autour de cette table, toujours généreusement remplie, et sont encadrés d’abondantes bénédictions.
Références
↑1 | Mishkan, Shékhina, shakhen, ces mots ont la même racine : « שכנ » — « établir, installer, habiter » —, qui laisse aussi entendre la notion de « gage » |
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↑2 | Mikdach, kidouch, kadich, kadoch, kodech, kédoucha… ces mots ont la même racine : « קדש » — « consacrer, sanctifier, dédier » |
↑3 | Exode 40.2-4 |
↑4 | Torah : l’Enseignement divin, le Pentateuque, l’ensemble des cinq Livres saints — Béréchit Genèse, Chemot Exode, Vayikra Lévitique, Bamidbar Nombres, Devarim Deutéronome |
↑5 | Sidour, pluriel sidourim : livre de l’ordre (séder) liturgique juif, livre de prières |
↑6 | Talmud : trente-six traités de commentaires juridiques et éthiques de la Torah écrite |
↑7 | XIIIe siècle |
↑8 | En allumant ses lumières de Chabbat dans la joie et le recueillement, la maîtresse de maison répare la faute d’Ève qui avait « éteint la Lumière divine dans le monde » |
↑9 | Rambam Hilkhote Chabbat 5.16 et 5.17 |
↑10 | Deux bougies ou lampes à huile le Chabbat pour : « Souviens-toi (zakhor) du jour de Chabbat et sanctifie-le » (Exode 20.8) : tous les commandements positifs associés à la sanctification de Chabbat. Et « Garde (shamor) le jour du Chabbat et sanctifie-le » (Deutéronome 5.12) : toutes les interdictions associées au Chabbat. Ces deux lumières représentent notre acceptation des deux aspects de l’observance de Chabbat |
↑11 | Séouda, de la racine סעד qui signifie « soutenir, aider » |
↑12 | La Kabbale explique que ces bénédictions prononcées à l’occasion des repas de Chabbat se répandent sur les six jours de la semaine |
↑13 | Brit Mila : circoncision pour l’Alliance |
↑14 | Bar Mitsva : cérémonie de passage à l’âge adulte |
↑15 | Erouv : ceinture qui réunit des territoires disjoints pour en faire un seul domaine privé |
↑16 | Azkara אזכרה: cérémonie en mémoire d’un défunt |