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Le Beaujolais ancien est arrivé !

Le Beaujolais nouveau est donc arrivé, pour la plus grande joie des amateurs. Il y a d'ailleurs de quoi s'émerveiller à voir, ces dernières décennies, comment la production de vin kacher est allée en s'étendant et en se diversifiant, en France comme en Israël et aux Amériques, ou ailleurs encore dans le monde. Le Beaujolais nouveau vient donc chaque année réjouir nos tables et nos palais, mais il s'agit en fait là, pour les Juifs de France, d'une histoire déjà bien ancienne : depuis le haut Moyen-Âge, en effet, les Juifs ont tenu dans ce pays, comme ailleurs en Europe, une place importante dans la production et la commercialisation du vin.
Le Beaujolais ancien est arrivé !

Le vin dans la vie juive

Le vin joue un rôle important dans la vie juive, que ce soit pour les besoins cultuels (Kiddouch du Chabbath et des fêtes, quatre verres du Seder de Pessa’h, bénédictions du mariage et de la circoncision, ou même Pourim) ou pour honorer la table des fêtes et autres réjouissances. Ceci explique que, là où ils se sont installés depuis deux mille ans, les Juifs se soient immédiatement souciés d’avoir une production de vin locale tenant compte des exigences de la Halakha ou, à défaut, des voies de commerce sûres pour s’en approvisionner. Il est intéressant de noter, du reste, que les restrictions imposées par l’Église à l’époque médiévale ne concernaient généralement pas le commerce, et ont donc pu favoriser leur activité comme fournisseurs privilégiés de boissons alcoolisées.

 

Régions d’activité viticole

Au début du Moyen-Âge, les décrets émis sous l’impulsion de l’Église par les autorités, ne concernaient pas encore ni partout l’interdiction de posséder des terres et d’y pratiquer l’agriculture. Les Juifs ont donc pu s’investir de façon très active dans ce domaine et, plus particulièrement, dans ce qui concerne la viticulture et la commercialisation de ses productions. On ne peut  ainsi s’étonner, vue leur importante population en Europe occidentale, de les voir à l’œuvre dans toutes les grandes régions viticoles : en France, depuis la Provence et le Languedoc, jusqu’aux vallées de la Loire et de la Seine et, bien sûr, la Champagne de Rachi ou l’Alsace ; en Allemagne, dans la vallée du Rhin, autour des grands centres historiques juifs de Spire, Worms et Mayence ; en Italie, depuis le nord jusqu’au sud de la péninsule ; mais aussi dans l’Espagne musulmane, malgré ou, au contraire, grâce à l’interdiction du vin dans la société islamique. À une époque où les transports et les moyens de communication étaient particulièrement précaires, le dynamisme de l’activité des réseaux juifs et la solidité de leurs liens familiaux ou communautaires constituaient à l’évidence un atout précieux.

 

Restrictions et taxes

Le vin, on le sait, aide à voir la vie en rose… Ce ne fut cependant pas toujours le cas pour les Juifs médiévaux :  plus, en effet, l’emprise de l’Église sur la société chrétienne allait en s’accentuant, et plus ils se virent soumis à des règlements extrêmement restrictifs, sans parler de taxes spécifiques : ici, ils ne pouvaient vendre du vin qu’à d’autres Juifs ou à des non-chrétiens (sachant qu’en Europe les seuls non-chrétiens ne pouvaient être que des musulmans, eux-mêmes soumis à une stricte prohibition de ce breuvage !) ; là, ils devaient s’acquitter de taxes plus élevées que celles concernant les commerçants chrétiens ; là encore, leur accès à la terre se voyait restreint ou soumis à des chartes limitant leurs droits dans le temps, ou tout simplement au bon vouloir du prince ou du seigneur local ; là enfin, la concurrence acharnée de concurrents chrétiens, qui avaient assimilé certains savoir-faire des Juifs, imposait un jeu inégal. Les pogroms n’étaient pas rares, aggravant leur situation. Les Croisades et les massacres qui les accompagnèrent marquèrent un tournant, de ce point de vue aussi. Les expulsions, enfin, entrainèrent le déclin irrémédiable d’une importante production viticole juive et sa commercialisation, avec celles produites par des non-Juifs : Angleterre en 1290, France en 1306 et 1394, Espagne en 1492.

En bref, cette activité productrice et commerciale, qui avait pris son essor de façon remarquable dans toute l’Europe occidentale grâce à des réseaux communautaires transrégionaux singulièrement dynamiques, ne put résister au phénomène d’exclusion progressive des Juifs, et leur relégation aux marges de la société médiévale.

 

Rachi de Troyes, maître de la tradition talmudique et vigneron exemplaire

Rabbi Chlomo Yits’haki, connu sous l’acrostiche de Rachi, vécut essentiellement à Troyes, en Champagne (1040-1105). Il tient dans la tradition juive une place incomparable, comme commentateur des textes bibliques et du Talmud. Mais vivant dans la grande région viticole qu’a toujours été la Champagne, il a aussi, semble-t-il, possédé un vignoble et participé à la production de vin pour sa communauté et celles des environs de Troyes. Il aurait ainsi pu assurer la subsistance de sa famille, mais aussi financer l’entretien des nombreux étudiants de sa Yechiva, venus de toute l’Europe bénéficier de son enseignement. Cette activité viticole, qu’il partageait avec de nombreux Juifs de son temps, se manifeste dans sa participation à l’établissement de règles halakhiques claires pour la production de vin kacher ; mais aussi dans la familiarité qu’il manifeste, dans ses commentaires, avec tous les aspects de la viticulture ; ou dans sa connaissance de termes techniques, tels que traduits dans ses la’azim en ancien Français. Enfin, Rachi accorde une grande importance à l’aspect symbolique du vin. Ainsi, par exemple, lorsqu’il commente les versets de la bénédiction de Ya’akov à son fils Yéhouda (Beréchith/Genèse 49,11-12) :  » Il attachera à la vigne son âne et son ânon au sarment. Il lavera son vêtement dans le vin, et sa tunique dans le sang des raisins. »

Ce que Rachi commente de la façon suivante, présentant le vin comme symbole d’abondance et de bénédiction divine :

 » Il prophétise sur l’abondance du vin dans l’héritage de Yéhouda, au point que les vignobles y seront si riches qu’ils sembleront faire couler le vin comme depuis une source. »

Au passage, d’ailleurs, Rachi nous offre la traduction en ancien français du mot hébreu seréka, qui apparaît au verset suivant :  » long sarment, que l’on appelle corriède en français. »

Ou lorsque, à propos du verset de Tehilim/Psaumes 104, 15 ( » Le vin réjouit le cœur de l’homme « ), il explique qu’il faut voir dans ce breuvage un double symbole : celui de la joie éprouvée physiquement par l’homme, mais aussi celle accompagnant le sentiment d’élévation spirituelle. Cette joie particulière permet à l’homme de rendre grâce à son Créateur, tant pour les bienfaits et plaisirs terrestres qu’Il lui accorde, que pour les moments où il ressent avec force les joies de l’âme.

Le-‘Hayim !

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