Un passé riche et une coexistence pacifique
Au sommet de leur présence, dans les années 1950, les Juifs en Inde comptaient environ 30 000 personnes, une fraction minuscule parmi les 300 millions d’habitants du pays. Aujourd’hui, alors que la population indienne a atteint 1,43 milliard, on estime qu’il ne reste que près de 5 000 Juifs sur le sous-continent.
La première mention des Juifs en Inde est attribuée au Livre d’Esther, où le royaume d’Assuérus est décrit comme s’étendant « de l’Inde jusqu’à Koush ».) Le nom de l’Inde résonne également dans le Talmud et les Midrashim, où l’on trouve des mots d’origine indienne, notamment des noms d’épices, de plantes, d’animaux, de textiles, de pierres précieuses, suggérant une connaissance de l’Inde et de ses produits, ainsi que des liens commerciaux entre la colonie juive de la Terre d’Israël, de Babylone et d’Inde.
L’une des particularités remarquables de la vie des Juifs en Inde est l’absence de persécution en raison de leur judéité. En effet, perçus comme une composante ethnique au sein de la mosaïque complexe de l’Inde, ces derniers y ont vécu des siècles sans connaître de persécution ni d’antisémitisme. Leur situation économique a de plus été généralement favorable.
Répartition interne des Juifs indiens
Les Juifs d’Inde sont divisés en trois groupes principaux, qui diffèrent entre eux en termes de tradition historique, de structure sociale et de coutumes :
- Les Juifs bagdadi (de Bagdad)
- *Les Juifs de Cochin
- *Les « Bnei Israël ».
Les Juifs bagdadiens, une histoire d’émigration et d’intégration
Le terme « Juifs bagdadi » était à l’origine employé pour désigner les Juifs originaires de la région entre le Tigre et l’Euphrate, une terre riche en culture et en traditions juives. Au fil du temps, cette appellation s’est étendue pour inclure les Juifs de Syrie, de diverses régions de l’Empire ottoman, du Yémen, ainsi que des Perses et des Afghans non arabophones. Les Juifs bagdadiens étaient aussi parfois appelés « Séfarades », faisant référence à leur tradition de prière plutôt qu’à leur origine géographique.
Au XVIIIe siècle, le port de Basra, dans le golfe Persique, est devenu un important centre commercial pour la British East India Company, incitant de nombreux Juifs de Basra et de Bagdad à émigrer progressivement en Inde, principalement à Surat, sur la côte ouest. La communauté marchande juive de langue arabe à Surat, en grande partie composée de Bagdadiens, comptait près de cent personnes. Avec le développement de Calcutta et Bombay, Surat a perdu de son importance, conduisant les marchands juifs bagdadiens à se déplacer vers ces centres commerciaux florissants.
Au XIXe siècle, de nouvelles opportunités économiques en Extrême-Orient, sous l’influence britannique, ont attiré un autre groupe de Juifs bagdadiens en Inde, notamment du Yémen. Certains venaient de familles riches ayant fui Basra et Bagdad en raison de persécutions.
Les Juifs de Bagdad ont grandement contribué à la prospérité économique et culturelle de l’Inde, établissant en outre des imprimeries hébraïques, des écoles et des synagogues. David Sassoon, arrivé à Bombay en 1833, a fondé une dynastie commerciale majeure, créant une entreprise qui s’étendrait à l’échelle mondiale. Certains membres de la famille Sassoon ont même étendu leurs activités jusqu’en Chine.
Après 1947, de nouvelles réglementations économiques en Inde ont compliqué les affaires de nombreux Bagdadiens, les poussant à émigrer vers d’autres pays tels que l’Angleterre, le Canada, l’Australie et les États-Unis, avec une minorité s’installant en Israël. Aujourd’hui, la communauté Bagdadi en Inde décline, ne comptant plus que quelques centaines de membres, principalement des personnes âgées.
Les Juifs de Cochin, ville de refuge et de prospérité
Pendant près de deux millénaires, la communauté juive de Cochin , enclavée au cœur de la luxuriante plaine de Malabar, a prospéré sur les rivages de la côte sud de l’Inde. Cette ville était autrefois le foyer de l’une des denrées les plus prisées de l’Antiquité : les épices.
Selon les légendes locales, les premiers Juifs ont foulé ces rivages à l’époque du roi Salomon, tandis que d’autres histoires parlent de réfugiés en provenance de Babylonie. Même si ces récits manquent de preuves tangibles, ils attestent de la présence ancienne d’une communauté juive.
Juif de Cochin, avec de courtes papillotes sur les côtés de la tête, vers 1900
Des documents commerciaux trouvés dans la Genizah du Caire révèlent des échanges entre les marchands juifs et l’Inde dès le IXe siècle. Au XVIe siècle, deux groupes distincts de Juifs arrivèrent à Cochin : les Juifs de Cranganore, dont la communauté fut quasi détruite par les Portugais en 1524, et les « Anoussim » — Juifs forcés de se convertir au christianisme — fuyant l’Espagne et le Portugal.
À partir de là, la communauté de Cochin se scinda en trois groupes endogamiques distincts : les « Blancs », les « Foncés/Noirs » et les « Libérés ». La nomination « Foncés » correspondait aux descendants des Juifs locaux, dotés de leurs propres synagogues et rituels. La nomination « Blancs » correspondait aux descendants de Juifs migrants d’Inde, d’Espagne, d’Allemagne, puis des Pays-Bas, et de Syrie. La nomination « Libérés » correspondait aux descendants d’anciens esclaves ayant adhéré à la foi juive après leur libération.
Au XVIIIe siècle, Cochin comptait huit synagogues dans cinq villes et villages différents. Malgré les tensions internes et les préjugés, cette communauté juive sut prospérer, contribuant à l’économie locale et à la richesse culturelle de l’Inde.
Au milieu du XXe siècle, de nombreux Juifs de Cochin ont émigré en Israël et la ville ne compte plus à ce jour que quelques membres.
Les Bnei Israël, une histoire juive enracinée en Inde
Dans l’État indien du Maharashtra, les Bnei Israël, la plus grande communauté juive d’Inde, ont une histoire captivante. Selon la légende, leurs ancêtres auraient échoué sur les côtes du Maharashtra à bord d’un navire naufragé, laissant derrière eux sept familles. Ces naufragés auraient nagé jusqu’au village de Navegaon, où ils se seraient installés. Au fil du temps, ils auraient oublié leurs traditions et la langue hébraïque, adoptant les coutumes locales.
Pendant des siècles, cette communauté s’est identifiée en tant que Bnei Israël plutôt que Juifs, mais leur véritable héritage juif a été redécouvert au Xe siècle grâce à un érudit juif venu du Moyen-Orient. Il leur a enseigné la Torah et les coutumes religieuses juives, restaurant ainsi leur identité perdue. Leur pratique d’observer strictement le chabbat, les distinguant des autres communautés indiennes, leur a valu le surnom de « Shaniwar Telis » — « pressoirs à huile pour bougeoirs du samedi » — ceci en raison de leur profession d’origine, l’extraction de l’huile de sésame.
Au XVIIIe siècle, les Bnei Israël ont commencé à revendiquer leurs traditions religieuses, se rapprochant davantage d’autres communautés juives en Inde. Ils ont préservé des coutumes distinctes telles que la cérémonie de la Malida, où les hommes se rassemblent autour d’une assiette contenant riz, fruits, fleurs et épices pour chanter des louanges à D.ieu.
La communauté Bnei Israël a également joué un rôle remarquable dans l’histoire militaire de l’Inde, combattant aux côtés du héros marathe Shivaji. Leur importance s’est accrue sous la domination britannique, où de nombreux membres ont servi dans l’armée britannique, bénéficiant de préférences spéciales. Aujourd’hui, leur nombre en Inde a considérablement diminué, la plupart ayant émigré en Israël et dans d’autres pays occidentaux.
En conclusion, l’Inde, pays de diversité spirituelle et culturelle, abrite depuis des millénaires une histoire juive de coexistence et d’harmonie. Malgré la diminution de leur nombre, les communautés juives laissent derrière elles un héritage culturel précieux, enrichissant le patrimoine et la mosaïque culturelle de cette nation.