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A la découverte des tribus juives perdues d’Afrique Noire

Inconnus du grand public il y a quelques générations encore, les Igbo du Nigeria font désormais souvent la une des médias, plongés dans les guerres interethniques qui agitent le Biafra. Au sein de cette ethnie d’Afrique de l’Ouest, des membres – de plus en plus nombreux – se réclament aujourd’hui du judaïsme. Ils ne sont pas les seuls. Partout à travers le continent africains ont réémergé au XXe siècle des « Tribus (plus ou moins) perdues ».
A la découverte des tribus "juives" perdues d'Afrique Noire

Victimes d’une guerre interethnique qui sévit depuis des décennies au Biafra, les Igbo/Ibo font partie d’une communauté menacée. Troisième groupe ethnique du Nigéria, ils sont connus pour abriter en leur sein une minorité juive d’environ 40 000 individus, principalement établis à Abuja, la capitale, et à Port-Harcourt, située sur le littoral. Leur origine est aujourd’hui encore sujette à d’intenses débats au sein de la communauté, scientifique comme rabbinique. À l’inverse de leurs voisins Yoruba, qui affirment descendre de la tribu perdue des Bneï Ephraïm, les Igbo prétendent provenir d’une immigration plus tardive, se rattachant aux foyers de peuplement égyptiens, voire nord-africains.

Néanmoins, à l’inverse de leurs coreligionnaires du Mali — les légendaires « Juifs de Tombouctou » —, les Igbo sont noirs de peau et présentent des caractéristiques physiques assez semblables à celles des autres ethnies peuplant le golfe de Guinée. Se déclarant Hebrewists, la majorité d’entre eux se considère comme des Juifs pré-talmudiques, malgré l’adoption récente de la kippah et du talith au sein de certaines de leurs synagogues. Parmi elles, la « Gihon », fondée en 2004, répond aujourd’hui aux critères d’orthodoxie juive et ses membres semblent aspirer à une conversion halakhique en vue d’une téshouva — retour — complète. Ils sont soutenus dans leur démarche par des organisations prosélytes américaines et israéliennes qui leur ont procuré ces dernières années des rouleaux de Torah ainsi que bon nombre d’objets liturgiques.

Non loin de là, au Ghana, a surgi il y a une cinquantaine d’années une communauté connue sous le nom de House of Israël. Créée à l’instigation d’un prophète local, elle compterait à ce jour un peu plus de 200 membres, possédant notamment sa synagogue dans la ville de Sewfi Wiaso, dans le sud-ouest du pays.

En descendant plus au sud du continent — dans le cœur de l’Afrique — se trouve un peuple plus intriguant encore, dont la reconnaissance récente a attiré le regard des médias : les Abayudaya, dont le nom signifie littéralement en langue luganda « Peuple de Juda ». Installée dans l’est de l’Ouganda, non loin des Grands Lacs, leur communauté compterait plus de 1 200 individus, alliant respect de la cacherout et observance du Chabbat. Répartis entre plusieurs villages, les Abayudaya, qui pratiquent depuis quelques années un judaïsme rabbinique, sont désormais reconnus par le courant conservative — massorti — américain, et un village a même bénéficié d’une conversion orthodoxe en juin 2016 sous la houlette du Rav Shlomo Riskin, en raison d’une dévotion particulièrement prononcée de ses membres. Et de fait. Si la communauté n’a pas d’origine historique antérieure aux années 1920, elle peut se targuer d’avoir survécu aux persécutions d’Idi Amin Dada, le dictateur sanguinaire pro-palestinien (1971-1979), qui contraignit la majorité des Abayudaya à rejoindre de force le christianisme ou l’islam. La communauté bénéficie aujourd’hui d’une synagogue orthodoxe à Kampala, la capitale de l’Ouganda, et dispose de plusieurs établissements d’enseignement juif à travers le pays.

Plus au sud, existe également des communautés judaïsantes syncrétiques, associant la pratique de la circoncision à des prières rabbiniques traditionnelles, tout en maintenant une liturgie proche de celles des Juifs réformés nord-américains. Les Juifs du Zimbabwe, connus sous le nom de « Juifs de Rusape », respectent depuis le début du XXe siècle un certain nombre d’interdits alimentaires, lisent la Torah en hébreu et récitent un Shéma Israël de leur cru, associant l’hébreu, l’anglais et leur langue indigène, le shona.

Au Zimbabwe également, ainsi qu’en Afrique du Sud, au Mozambique et au Malawi, une communauté intrigue les généticiens depuis plusieurs décennies : d’origine sémite, les Lembas présentent une proportion hors norme d’hommes possédant un polymorphisme du chromosome Y, connu sous le nom d’haplotype modal Cohen, une particularité génétique qui suggère une liaison avec les populations juives traditionnelles, dont les prêtres, descendants d’Aaron — le frère de Moïse — et appelés Cohen depuis les temps bibliques, sont astreints à une plus stricte endogamie que les autres membres du peuple juif. Ils seraient aujourd’hui 70 à 80 000 individus répartis à travers l’Afrique australe.

Et que dire de ces 120 Juifs de Madagascar qui se sont convertis au judaïsme orthodoxe, en mai 2016, sous la houlette d’un tribunal rabbinique américain ? Une procédure conçue par ces Malgaches comme l’aboutissement naturel d’une croyance profonde en leur origine israélite ancestrale, associée à la découverte toute récente du judaïsme normatif tel qu’il est pratiqué dans le monde.

Un peu partout en Afrique ont ainsi émergé ou réémergé, au XXe siècle, quantité de communautés religieuses affirmant relever du judaïsme, dans sa version hébraïque ou rabbinique. Si certains groupes semblent intéressés par une immigration opportuniste en Israël, d’autres font, à l’inverse, preuve d’une grande ferveur et d’une profonde honnêteté, à l’instar des Abayudaya, qui ne souhaitent nullement quitter leur terre d’origine.

Pour en savoir davantage : 

Edith Bruder, Black Jews. Les Juifs noirs d’Afrique et le mythe des Tribus perdues, Albin Michel, 2014 et Edith Bruder (dir.), Juifs d’Ailleurs. Diasporas oubliées, identités singulières, Albin Michel, 2020.

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