Legs d’un passé douloureux – des siècles durant – dans toutes les diasporas juives de l’exil obligées de s’entraider pour survivre, mais aussi posture éthique de la société juive laïque et du monde religieux ayant toujours prôné la justice et l’assistance aux plus démunis : le fait est que l’entraide sociale est une activité florissante dans la société israélienne d’aujourd’hui !
Et ce, avec des milliers d’associations bénévoles distribuant de l’aide alimentaire ou prodiguant aux malades et à leurs familles matériel et soins médicaux.
Sans parler d’un autre type de réseaux qui transcendent, dans nombre de communautés et centres culturels des quatre coins du pays, la fameuse fracture entre le « secteur religieux » et les milieux laïcs : celui de ces centaines de banques associatives de prêts (gma’him) qui avancent – sans percevoir d’intérêts – les sommes manquant souvent aux jeunes couples et aux familles dans le besoin pour se soigner, équiper leur logis ou bien financer une fête ou un évènement familial !
Autant d’activités touchant depuis des années des centaines de milliers voire des millions de personnes qui drainent des milliards de shekels par an et qui sont devenues partie intégrante et constitutive de l’économie sociale israélienne.
A fortiori ces derniers temps où le Bitouah Léoumi (Institut national des Assurances) a évalué qu’un Israélien sur 5 vivait en 2021 en dessous du « seuil de pauvreté », 26 % des foyers ne couvrant leurs dépenses mensuelles, 10,6 % renonçant à leur traitement médical et 6,9 % n’achetant pas les remèdes prescrits sur leurs ordonnances…
Le développement vertigineux de « Yad Sarah »
Fondée voilà trois décennies rue des Prophètes (Néviim) dans un vieux wagon qui lui servait de bureau au cœur de la capitale israélienne, l’association d’entraide médicale « Yad Sarah » possède aujourd’hui un immeuble imposant et ultra-moderne de 7 étages sur un boulevard de l’ouest de Jérusalem qui abrite les nombreux départements de cette organisation aidant gratuitement les malades et les personnes âgées.
Et ce, avec des visites régulières à domicile et en leur fournissant le matériel médical dont ils ont besoin chez eux ou pour se déplacer : respirateurs artificiels, pompes et masques à oxygène, inhalateurs, compteurs « dernier cri » de pression artérielle, appareils humidifiants, béquilles et cannes de toutes tailles, attelles et appareils orthopédiques de toutes sortes, déambulateurs, tables de travail et d’appui au lit, fauteuils roulants pour grands et petits, sièges et poignées de bain adaptables, et même sensors électroniques d’alerte.
Un véritable arsenal d’accessoires stockés en ordre parfait dans les rayons de plusieurs dépôts et entrepôts répartis sur plusieurs étages, dont la gestion informatisée exige une logistique sans faille vu les dizaines de milliers de demandes et de visites du public dans ces locaux !
Disposant de 340 000 appareils en tous genres prêtés gratuitement à ceux qui en ont besoin pour un temps limité (contre un petit dépôt d’argent restitué au retour de l’appareil), Yad Sarah est financée par un budget de 12 millions de dollars annuels seulement.
Emblème par excellence du Bel Israël et de l’esprit de solidarité de ses habitants, cette organisation hors-pair compte plus de 7 000 volontaires fournissant plus d’un million d’heures annuelles de bénévolat, ainsi que des sections locales réparties en 104 antennes dans tout le pays.
Yad Sarah distribue aussi des repas au domicile des patients en y assurant la plupart des charges ménagères, depuis la lessive jusqu’aux petites réparations.
En réduisant le chiffre national des hospitalisations après avoir su répondre aux besoins à domicile de centaines de milliers de malades et de vieilles personnes, cette association sortie d’un vieux wagon permet à Israël d’économiser plus de 300 millions de dollars par an !
En fait, même si Yad Sarah brille par l’étendue de ses activités et son efficacité de pointe la faisant leader incontesté dans son domaine, elle ne constitue que l’une des très nombreuses associations d’entre-aide médicale existant en Israël, ne serait-ce qu’au plan des secours médicaux et de l’assistance d’urgence aux personnes victimes du terrorisme, telles Zaka ou Hatsalah.
« Zichron Menahem » : une entraide médicale holistique pour les enfants et leur famille
Créée en 1990 par Haïm et Miri Erenthal en mémoire de leur fils Menahem, qui s’est éteint après 14 ans de combat contre sa leucémie, Zichron Menahem apporte un soutien aux familles se trouvant dans ce type de situations.
Outre les activités éducatives et sociales très variées et les séances de rééducation dont bénéficie l’enfant malade, cette association accompagne aussi chacun des membres de la famille touchée grâce à un service d’assistance qui fonctionne tous les jours 24 h sur 24.
Ses activités représentent un coût annuel de 3 millions de dollars, dont un quart en donations matérielles et en travail bénévole, la plupart des fonds provenant de dons privés et de collectes menées gratuitement.
Ses propres fondateurs ayant fait l’expérience douloureuse des procédures médicales, de ce qu’endurent les frères et sœurs de l’enfant malade et de ce que doivent assumer ses parents, Zichron Menahem propose à toute la famille une gamme complète d’aides pour mener ce combat de longue haleine contre le cancer, car soutenir un malade c’est soutenir au quotidien sa famille entière !
1ière organisation en Israël à répondre aux besoins émotionnels et logistiques des familles touchées, Zichron Menahem a fait de cette approche holistique une ligne directrice de son action pour obtenir une stabilisation voire une guérison de la maladie.
Ses années d’expérience, sa créativité et la motivation de ses centaines de volontaires (dont les jeunes filles Bnot Chirout faisant leur service civil) lui permettent de proposer une haute qualité d’activités aux enfants cancéreux et à leurs familles sans distinction d’origine, de religion ou de genre.
Parmi ces actions : un centre de jour de réhabilitation (unique en son genre) avec activités socio-éducatives, un centre d’hébergement, une banque de donateurs de sang et de moelle osseuse, une assistance avec livraisons de repas et de friandises à l’hôpital, des cours de soutien scolaire, diverses thérapies, activités récréatives et ateliers pour les enfants de parents malades, des programmes spécifiques pour les frères et sœurs, des soins paramédicaux (médecines douces et alternatives dont la kinésithérapie) ainsi que des conseillers psycho-sociaux et un groupe de parole et de soutien, trois camps de vacances annuels, plusieurs sortes de vacances, d’activités et d’ateliers pour les parents, des jours de kef et des fêtes d’anniversaire pour les enfants, des soins et beauté et même la recherche de perruques.
Résultat : Zichron a été récompensé de nombreux prix : celui du Meilleur Volontaire, du Bouclier de l’enfant et de la Médaille de Jérusalem.
« Latet », championne de l’aide alimentaire
Outre de nombreuses cantines, restaurants gratuits et « soupes populaires » de quartier, des centaines d’associations locales ou nationales (comme Mazone la-Haïm) distribuent en voiture dans des milliers de cartons – grâce à leurs réseaux de volontaires – des repas gratuits pour le Chabbat, ainsi que de nombreux produits alimentaires de base pour les jours de fêtes (Roch Hachana, Souccot, Pessah et Chavouot).
La plus connue est sans conteste l’association Latet : un mot qui signifie en hébreu « donner » !
Donner de son temps et de sa personne pour distribuer aux gens démunis de la nourriture et des colis de vêtements : donner à ceux qui ont le plus de besoin de recevoir…
Fondée en 1996 par un immigrant francophone Gilles Darmon, venu s’installer en Israël, Latet est devenue aujourd’hui avec ses près de 18 000 bénévoles la plus importante association d’entraide alimentaire en développant une véritable culture de « l’engagement citoyen » pour atteindre ses objectifs philanthropiques.
Des bénévoles qui parlent l’hébreu, l’arabe, l’anglais, le russe et parfois le français.
L’une des principales cibles sociales de Latet concerne les survivants de la Shoah qui, souvent, vivent en Israël en-dessous du seuil de pauvreté.
Ainsi sur près de 200 000 d’entre eux résidant dans le pays, 45 000 vivent en situation de pauvreté. La spécificité de Latet, c’est qu’elle agit à tous les niveaux de leur vie : l’alimentation quotidienne, mais aussi les visites à domicile, les soins médicaux et paramédicaux, ou encore l’organisation de repas de fêtes.
Chaque mois, Latet vient ainsi en aide à 1 200 survivants de la Shoah, mais elle s’occupe aussi d’autres secteurs de la population frappés par la pauvreté – un problème délaissé par les institutions politiques du pays en raison de l’instabilité chronique des gouvernements successifs et des coalitions siégeant à la Knesset.
« Leket », la Banque nationale de nourriture
Autre fleuron de l’entraide alimentaire créé en 2003 par un nouvel immigrant et sous le nom « D’une Table à l’autre » : l’association Leket distribue de la nourriture et des millions de repas annuels gratuits à de nombreuses familles nécessiteuses en Israël.
Et ce, en coopérant en synergie avec 200 groupes associatifs et aussi grâce à un incroyable système national et local de récupération des surplus et déchets alimentaires auprès de 350 établissements dans l’industrie agricole, les secteurs de la restauration, l’hôtellerie, les cafétérias, les traiteurs et organisateurs de réceptions, et encore dans les réfectoires des bases de Tsahal et des services publics.
Le tout en mobilisant un réseau de plus de 60 000 volontaires à la fois israéliens et étrangers afin d’assurer ses propres récoltes de fruits et légumes pour les redistribuer.
L’un des buts de Leket étant de fournir de la nourriture saine et équilibrée, son Département de la Formation alimentaire organise des ateliers et stages gratuits pour les cadres des associations, moniteurs des collectivités, parents et enfants leur apprenant à élaguer leurs budgets alimentaires en y intégrant plus de fruits, légumes et produits laitiers.
Et ce, en valorisant l’importance d’un petit-déjeuner copieux et d’un dîner pris régulièrement au sein du noyau familial et en leur faisant préparer eux-mêmes une série de menus-types lors de ces stages.
Le concept à la base de la création de Leket dérive de la Torah d’Israël qui considère comme une « mitsva » (précepte à force obligatoire) le fait de laisser les pauvres d’Eretz Israël venir recueillir dans les champs les restes des récoltes non-prélevés par les agriculteurs, ainsi que les « coins des champs » (*).
De plus, la Bible hébraïque répète plusieurs fois l’obligation pour chaque membre du peuple d’Israël de reverser au moins le 10ième de ses revenus ( maasser) aux gens s’occupant des nécessiteux, et ce en plus de la « tsédaka », l’assistance pécuniaire aux démunis incombant en permanence à chacun.
Autant d’obligations qui concrétisent au quotidien l’adage cité plusieurs fois dans le Talmud : « Kol Israël éravim zé-le-zé » (chaque membre du peuple d’Israël est responsable de son frère).
Appliquées à l’échelle planétaire dans chaque pays pour lutter contre l’immense gâchis de productions agricoles et de nourriture sévissant partout dans le monde développé, ces solutions de redistribution alimentaire de Leket n’aideraient-elles pas d’abord à sauver des centaines de millions de vie de gens affamés, puis à adapter l’activité agricole aux besoins locaux des populations ?
Et si une telle pratique se généralisait, Israël n’assumerait-il pas alors sa double mission de « goy kaddoch » (peuple singulier) et de « mamlé’het Cohanim » (société-laboratoire initiant des solutions socio-politiques pour l’humanité) assignée par la Bible hébraïque ?
Mais en attendant, l’Israël d’aujourd’hui continue de jeter encore chaque année le tiers de sa production alimentaire !
(*) Lévitique (XIX-9-10) : « Quand vous moissonnerez la récolte de votre pays, tu laisseras la moisson inachevée au bout de ton champ, et tu ne ramasseras pas la glanure de la moisson. Tu ne grappilleras point dans ta vigne, et tu ne recueilleras point les grains éparts de ta vigne. Abandonne-les au pauvre et à l’étranger, je suis l’Eternel votre Dieu ».
Lévitique (XXIII-22) : « Et quand vous ferez la moisson dans votre pays, tu laisseras la tienne inachevée au bout de ton champ, et tu ne ramasseras pas les glanes de ta moisson. Abandonne-les au pauvre et à l’étranger, je suis l’Eternel votre Dieu ».
Deutéronome (XXIV-19-22) : « Quand tu feras la moisson dans ton champ, si tu as oublié dans ce champ une javelle, ne retourne pas la prendre, mais qu’elle reste pour l’étranger, l’orphelin ou la veuve, afin que l’Eternel, ton Dieu, te bénisse dans toutes les œuvres de tes mains. Quand tu gauleras ton olivier, n’y glane pas après coup, ce sera pour l’étranger, l’orphelin et la veuve. Quand tu vendangeras ta vigne, n’y grappille pas après coup, ce sera pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve. Et tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Egypte : c’est pourquoi je t’ordonne de tenir cette conduite ».