D’abord, c’est un homme de foi et de conviction. Il ne s’en laisse pas conter et il est prêt, dès que l’occasion se présente, à dire ce qu’il pense. Et pour un homme de cette envergure, ce qu’il pense, cela veut dire évidemment ce qu’il faut penser…
L’autre jour, par exemple, il a fait un geste important en bénissant au Vatican une crèche avec le bébé au keffieh. D’émotion, j’en serais tombé de ma chaise : quel courage admirable, ce Pape, quelle détermination ! Oui, il en faut du courage, en ces temps de fêtes et de réjouissances, pour rappeler au monde qu’il y a tout de même du malheur dans ce monde ! Et que le keffieh est devenu le symbole, l’étendard de la révolte contre le mal. Et quand ce pape parle de mal, il suppose évidemment que l’on suit bien son regard…
Mais rien à faire, ce pape est d’une redoutable finesse ! Si, si, je maintiens : il sait bien que son public a parfois un peu de mal à suivre son regard. Alors cet homme de foi et de conviction a compris qu’il lui fallait à nouveau prendre son courage à deux mains et braver tous les dangers, en ouvrant son cœur à l’occasion de son discours solennel au monde, urbi et orbi : ce qui lui tient à cœur, voyez-vous, ce qui le touche au cœur, nous a-t-il confié, ce sont les enfants de Gaza tués « avec cruauté » dans les bombardements effectués par qui vous savez… Avec une audace prophétique, pour éviter toute ambiguïté et se faire bien comprendre, il a dû insister, le pauvre, sur le mot « cruauté », qui implique une intention, et même forcément une intention perverse…
Vous comprenez mieux maintenant ? Je vous disais bien que cet homme est homme de foi et de convictions. Car il sait bien que, dans son combat contre le mal, il ne peut détourner son regard de la source véritable de toute cruauté dans ce monde. Il sait qu’il lui faut, pour cela, être résolument sélectif dans l’exercice de la compassion : oui à la compassion envers les enfants de Gaza victimes-de-cruauté-de-la-part-de-qui-vous-savez, mais pas un mot de compassion pour les enfants otages, comme ces petits rouquins Bibas (הֿ ירחם עליהם וישמרם מכל צרה), si mignons qu’ils pourraient troubler notre jugement et notre juste sens de la justice.
Car, au fil de ses déclarations répétées, il semble qu’il y ait, dans les convictions de ce pape (consciemment ? inconsciemment ? à l’insu de son plein gré, comme on dit maintenant ?) ce point essentiel, tiré de siècles d’enseignement « du mépris » : certains êtres méritent notre compassion, car ils sont victimes de la cruauté ; d’autres ne la méritent pas, car… comment dire… ? Osons le dire : ce qui leur arrive n’est de toute façon que le sort qui leur revient. D’ailleurs, continuez à suivre son regard : cette histoire de gens cruels qui assassinent avec cruauté de jeunes enfants, pour les besoins obscurs de leur obscure religion, cela vous rappelle bien quelque chose, n’est-ce pas? Donc, ils méritent bien, tous ces enfants otages, de subir malheureusement les conséquences des fautes de leurs pères, de ce peuple obstiné, sûr de lui-même et dominateur !
C’est du reste ce que se sont entendus répondre, durant la Shoah, nombre de responsables juifs tentant de sauver leurs frères ; notamment l’un d’entre eux, parmi les plus belles et impressionnantes figures de cette époque : le Rav Mikhaël Dov Weissmandl, directeur de la yeshiva de Nitra en Slovaquie. Dans ses efforts désespérés pour sauver ce qui pouvait encore l’être du judaïsme européen et d’informer le monde de ce qui se passait, il était sorti à l’automne 1944 du bunker où il se cachait pour rencontrer le nonce apostolique (représentant officiel du Vatican) Giuseppe Burzio. Il espérait trouver, chez ce dignitaire influent, un accueil empathique, semblable à celui que de nombreux responsables chrétiens pouvaient à cette époque offrir aux Juifs à travers toute l’Europe. Alors qu’il le suppliait à genoux d’intervenir auprès du cardinal-président Tiso, Burzio lui répondit avec indifférence que ni lui ni le président ne pouvaient traiter de sujets profanes un dimanche. Et lorsque le Rav Weissmandl lui objecta qu’il s’agissait de sauver le sang innocent de milliers d’enfants, il se mit en colère et lui rétorqua : « Il n’existe pas de sang d’enfant juif innocent ! Le sang juif tout entier est coupable et les Juifs doivent périr, car tel est leur châtiment pour leur crime. » (Du fond de la détresse, d’Avraham Fuchs, pp. 104-105.)
Le rav Weissmandl s’est redressé et a infligé au représentant du Pape un soufflet retentissant. Un soufflet au nom du peuple juif, dont nous devons encore laisser l’écho retentir à nos oreilles, dès que nous entendons injustement et perfidement accuser de cruauté la « nation des compatissants ».
Une réponse
Merci beaucoup pour cet article absolument génial Que j’ai l’intention de diffuser! La haine des chrétiens envers les juifs n’est pas éteinte🥲