Ma nishtana haLaïla hazé ?
Quand Pessah se termine, les Juives marocaines ouvrent leurs portes à leurs voisines de confession musulmane, venues les bras chargés d’une farine « vendue » à la veille de la fête de Pessah, en réponse à un interdit de posséder du ‘hametz (levain) pendant la durée de cette festivité. Rapidement, en cuisine, tout le monde s’active pour réaliser les traditionnelles moufletas, ces crêpes judéo-marocaines qui viennent clore les fêtes pascales dans une grande partie du Maghreb depuis le XVIIIe siècle au moins, et que l’on retrouve du Canada à Israël, en passant par la France, depuis l’exil des Juifs nord-africains dans les années 1950-1960.
La table est dressée
Outre les moufletas, des cornes de gazelles, des manicotti, des fazuelos, un nougat appelé zaban et autres sucreries typiquement séfarades attendent les convives. Ils se pressent depuis tout le voisinage et il n’est pas rare de faire la tournée de plusieurs maisons pour célébrer la fin de la sortie d’Égypte. Des fèves, des épis de blé, des pièces de monnaie… parfois même un poisson, ornent les tables en signe d’abondance. À la question des origines de cette pratique, en revanche, tout le monde botte en touche… ou bien chacun ira de sa théorie.
Les quatre enfants
Le Sage — le ‘Hakham — aura coutume de rattacher cette tradition au père du Rambam, Rabbi Maïmon ben Yossef, dont on situe la date de décès autour de la fête de Pessah. La séouda prise lors de la Mimouna serait alors offerte pour l’élévation de son âme, comme le veut la tradition juive à la date anniversaire de mort d’un parent ou d’un maître révéré.
S’il est Talmid ‘Hakham! —, il ajoutera à son ‘hidoush que le mot « mimouna » se rapproche du verbe hébreu « ma’amin » signifiant « je crois », rappelant de cette façon la foi puissante qui anime chaque Juif célébrant, année après année depuis trois millénaires, la sortie d’Égypte, en espérant autant la rédemption messianique que le retour des exilés vers Sion ; « Bé-Chana haBaa be Yeroushalayim ». C’est en effet au mois de Nissan que les Hébreux ont été rachetés et que les Juifs le seront, à leur tour, à l’arrivée du Mashi’ah, selon la Tradition.
Le Mauvais garçon — le Rasha’ — aura, lui, à cœur de rappeler le mamôn araméen, cet argent mal acquis, généralement cité dans la littérature juive avec un sens péjoratif. Un midrash ne rapporte-t-il pas en effet que les Hébreux récupérèrent l’or et l’argent sur les morts égyptiens, noyés par le reflux de la mer Rouge lors de l’épisode de la kri’ath Yam Souf ?
Le simplet — qualifié de Tam dans la Haggadah — optera quant à lui pour une origine plus triviale : mimoun ou encore maymoun, c’est celui qui est « heureux », c’est aussi le « chanceux ».
Pourquoi chercher plus loin dira également « celui qui ne sait pas poser de question » — le Shéeino yodéa lishol. N’est-ce pas d’ailleurs à l’occasion de la Mimouna que chacun lance à son prochain en arabe « Terba’h ou-tsa’ad ! » — « Enrichis-toi et sois heureux ! ».
Une soirée de partage, au-delà des clivages géographiques et religieux
La majorité des familles en Israël — même laïques — aura coutume de se réapproprier la Mimouna, dans une ambiance festive, parfois revêtu d’une djellabah marocaine et coiffé d’un fez, chiné à Yaffo ou marchandé au souk de la Vieille ville de Jérusalem.
Dans d’autres familles d’Afrique du nord, les moufletas se feront plus discrètes, laissant la place de choix au célèbre sandwich tunisien, baignant dans l’huile et aromatisé à l’harissa — récemment classée par l’UNESCO ! —, ou au non moins réputé couscous au beurre et fruits secs de leurs voisins « constantinois ».
Désormais, même le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, un Ashkénaze d’origine litvak — lituanienne —, se prend au jeu et convie les photographes à sa soirée de Mimouna pour déguster le naa’na — ce thé à la menthe cher aux Marocains — accompagné de délices orientaux ; histoire de convaincre l’ensemble de ses compatriotes que les oppositions géographiques qui ont, des décennies durant, miné la politique israélienne, sont désormais révolues.
Avec la démocratisation de cette pratique, le folklore a souvent pris le dessus sur le sacré. Certains ont encore coutume de réciter la Birqath ha’ilanoth, à la fin de l’office de ma’ariv, une prière en l’honneur des arbres parfois associée à des passages extraits du Livre des Prophètes — Mishleï — et de sections de la Mishna…
Quant aux grincheux… ils rangeront ce même soir leur vaisselle pascale, dans une ambiance plus morose. Ainsi en allait-il dans les foyers juifs de la Vallée rhénane au sortir du huitième jour. On parle, en Alsace, de la Rumpelnacht, littéralement « la nuit du tumulte ». Des assiettes qui s’entrechoquent, des casseroles qui résonnent, des gens qui s’activent également en tous sens… pour ressortir les affaires du quotidien et ranger — jusqu’à l’année prochaine — le matériel de Pessah.
Pas étonnant, dans ces conditions, que la Mimouna ait le vent en poupe !
Ingrédients pour 30-35 moufletas :
1 kg de farine
½ verre de semoule de blé (fine de préférence)
60 cl d’eau tiède (3 verres)
1 cc. de sel et 3 cs. de sucre
deux paquets de levure sèche de boulanger
de l’huile pour travailler la pâte et graisser la poêle
Préparation
Diluer la levure dans la moitié de l’eau.
Dans un bol, malaxer la farine, la levure, en ajoutant progressivement l’eau tiède pour obtenir une pâte souple. La pétrir jusqu’à ce qu’elle n’accroche plus aux doigts.
Laisser reposer une bonne heure puis former une trentaine de boules.
Les enduire généreusement d’huile, les étaler finement, puis les saupoudrer de semoule.
Rouler la pâte sur elle-même, former un rouleau, puis couper en 30-35 segments.
Huiler une poêle chaude et y déposer une crêpe préalablement aplatie.
Au bout de 20 sec., retourner la moufleta et la recouvrir — côté cuit — d’une autre moufleta. Retourner ensuite le tout au bout d’une minute.
Recommencer l’opération avec une autre moufleta crue posée sur les précédentes, jusqu’à épuisement de tous les segments.
À déguster accompagné de miel, de sucre aux pétales de rose ou de marmelade.